Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/396

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nouvelle arrive, jurant Dieu qu'il n'est rien de plus facile, et elle se met à l'œuvre avec une inexpérience généreuse, s'attelant de toutes parts à droite, à gauche, en travers (les places de devant étant prises), les bras dans les roues, faisant crier le pauvre vieux char par mille côtés et risquant maintes fois de le rompre. On se lasse vite à ce jeu ; les plus ardents sont bientôt écorchés et hors de combat ; les meilleurs ne reparaissent jamais, et si quelques-uns, plus tard arrivent à s'atteler en ambitieux sur le devant de la machine, ils tirent en réalité très peu, et laissent de nouveaux venus s'y prendre aussi maladroitement qu'eux d'abord et s'y épuiser de même. En un mot, à part une certaine générosité première, le grand nombre des hommes dans les affaires de ce monde ne suivent d'autres mobiles que les faux principes d'une expérience cauteleuse qu'ils appliquent à l'intérêt de leur nom, de leur pouvoir ou de leur bien-être. Toute lutte, quelle que soit l'idée en cause, se complique donc toujours à peu près des mêmes termes : d'une part, les générations pures faisant irruption avec la férocité d'une vertu païenne et bientôt se corrompant, de l'autre les générations mûres, si c'est là le mot toutefois, fatiguées, vicieuses, générations qui ont été pures en commençant, et qui règnent désormais, déjouant les survenantes avec l'aisance d'une corruption établie et déguisée. Un petit nombre, les mieux inspirés, après le premier désabusement de l'altière conquête, se tiennent aux antiques et uniques préceptes de cette charité et de cette bonté envers les hommes, agissante plutôt que parlante, à ce Christianisme, pour tout dire, auquel nulle invention morale nouvelle n'a trouvé encore une syllabe à ajouter. Je suis pourtant loin, mon ami, de nier, à travers ces constants obstacles, un mouvement général et continu de la société, une réalisation de moins en moins grossière de quelques-uns des divins préceptes ; mais la