Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/40

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après m'être mêlé aux affaires lointaines, après avoir renouvelé mon âme bien des fois ; riche de comparaisons, mûr d'une précoce expérience, je repasserai ici. Cette douce lune, comme ce soir, éclairera la bruyère, et le bouquet de noisetiers, et quelque parc blanchâtre de bergerie, là-bas sous le massif obscur ; lumière et tristesse, tous ces reflets d'aujourd'hui, tous ces vestiges de moi-même y seront. Mais Elle, la retrouverai-je encore, m'aura-t-elle oublié ? ” Et ces vicissitudes sans doute amères, que je me proposais avec de vagues pleurs me souriaient à cette distance et me faisaient sentir la vie dans le présent. C'était par de tels dédales de pensées que m'égarait l'inconstance perfide, si chère aux cœurs humains.

III

A la dernière chasse dont je vous ai parlé, mon ami, j'avais eu l'occasion d'être présenté au marquis de Couaën l'un des hommes les plus importants de la contrée, et que depuis longtemps je désirais connaître. A travers les distractions de cette folle journée, j'avais trouvé le moment de l'entretenir de cet état douloureux d'abaissement et d'inutilité où nous étions descendus ; mes facultés étouffées s'étaient plaintes en sa présence, et il m'avait témoigné, en m'écoutant, une distinction beaucoup plus attentive que ne le semblait demander mon âge, et qui m'avait tout d'abord gagné à lui. Il m'invita à l'aller voir souvent dans sa terre de Couaën à deux lieues de là, et je ne tardai pas de le faire.

Mon entrée dans les choses du monde data véritablement de ce jour. Une idée de respect et d'attente se rattachait par tout le pays à ce manoir de Couaën et à la personne du possesseur. Le lieu, en effet, semblait devenu centre de beaucoup de mouvements occultes et d'assemblées