Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/41

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fréquentes de la noblesse. A une courte distance de la mer, vers une côte fort brisée et fort déserte, on y était à portée de communications nocturnes avec les îles et les pêcheurs que le gros temps avait poussés à ce rivage disaient avoir vu plus d'une fois dans le creux des rochers quelque embarcation qui n'appartenait à aucun des leurs. La vie du marquis lui-même prêtait aux conjectures. Les longues absences qu'il avait faites dans sa première jeunesse ajoutaient à sa considération imposante et à l'espèce de réserve voilée sous laquelle on le jugeait. Il avait servi de bonne heure, s'était battu à Gibraltar ; puis les voyages l'avaient tenté ; on savait qu'il s'était arrêté longtemps en Irlande, où il avait une branche de sa famille anciennement établie. Accouru, mais trop tard au bruit de l'insurrection royaliste, il avait trouvé la première Vendée expirante dans son sang, et, reparti alors pour l'Irlande, il n'en était revenu que vers 97, amenant cette fois avec lui une jeune femme charmante, déjà mère, étrange et merveilleuse, disait-on de beauté, qui, depuis trois ou quatre ans déjà, vivait toute retirée en ce manoir, où des intrigues politiques paraissaient s'ourdir, et où j'étais convié d'aller.

On arrivait au château de Couaën tantôt par de longs et étroits sentiers au bord des haies tantôt par des espèces de chemins couverts et creux, vrais ravins séchés à peine en été, impraticables en hiver. Le domaine, qu'on n'apercevait qu'en y entrant, occupait un fond spacieux, d'une belle verdure, magnifiquement planté : derrière, à son autre face, il était défendu des vents de mer par une côte assez élevée qui, durant près d'une lieue, se prolongeait en divers accidents jusqu'au rivage, et s'y rompait en falaise. Toute l'apparence du bâtiment annonçait un fort qui, dans les temps reculés, avait dû servir de refuge aux habitants du pays contre les coups de main des pirates. Une tour en brique,