Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/47

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autre part. Ces années à réparer le poussaient, et il jugeait d'ailleurs que les temps étaient redevenus plus propices à sa cause. La Révolution lui semblait à bout de ses fureurs, exténuée d'anarchie et ne vivant plus désormais qu'en une tête dont il s'agissait d'avoir raison. Ses rapports secrets avec d'illustres chefs militaires du dedans lui démontraient que cet édifice consulaire, imposant de loin pouvait crouler à un signal convenu et briser l'idole. Comme la plupart des hommes d'entreprise, avec un discernement très vif des obstacles matériels il tenait peu de compte des résistances d'en bas, des opinions générales de ce qui n'avait pas une personnification distincte : il croyait qu'à tout instant donné un résultat politique était à même de se produire, si les hommes qui le voulaient fortement savaient vaincre les chefs adversaires. Sa pensée pourtant n'était pas que le droit pérît en un jour devant le fait, et que les affections les croyances des populations se suppriment impunément ; mais il séparait des réelles et antiques coutumes l'opinion vacillante des populaces : celle-ci n'entrait guère dans ses calculs et quant aux coutumes elles-mêmes il les estimait fort destructibles en un laps de temps assez court, à moins qu'elles ne trouvassent leur vengeur. En un mot, M. de Couaën s'en remettait peu volontiers à ce qu'on appelle force progressive des choses ou puissance des idées et le sens du succès dans chaque importante lutte lui paraissait dépendre, en définitive, de l'adresse et de la décision de trois ou quatre individus notables : hors de là, et au-dessous, il ne voyait que pure cohue, fatalité écrasante, étouffement. Sa gloire la plus désirée eût été de devenir un de ces marquants individus qui jouent entre eux à un certain moment la partie du monde. Il n'en était pas indigne par sa capacité, assurément ; mais loin du centre, sans action d'éclat antérieure, sans alliances ménagées de longue main, les