Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/48

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positions principales lui manquaient. Ce qu'il pouvait avec ses seules ressources C'était d'aider, par une vigoureuse levée dans la province, au coup que d'autres frapperaient plus au cœur, et il avait tout disposé merveilleusement à cet effet. Le petit château de Couaën formait comme la tige et le nœud d'une ramification étendue qui pénétrait de là en lignes tortueuses à l'intérieur du pays. Parmi ceux qui s'y employaient le plus près sous sa direction et qui semblaient parfois affairés à la réussite jusqu'à l'imprudence, je ne tardai pas de m'apercevoir que, nonobstant les démonstrations parfaites dont il les accueillait, le marquis comptait peu d'auxiliaires réels et qu'il ne faisait fond sur presque aucun ; mais il touchait par eux à divers points de la population, ce qui lui suffisait : le cri une fois jeté, il n'attendait rien que de cette brave population et de lui-même.

Avec un esprit de forte volée, et qui, à une certaine hauteur, manœuvrait à l'aise dans n'importe quels sujets le marquis était très inégalement instruit ; en le pratiquant, on avait lieu d'être étonné de ce qu'il savait par places et de ce qu'il ignorait. Cela me frappa dès lors, malgré l'incomplet de mes propres connaissances à cette époque ; on voyait que, détourné le plus souvent par les circonstances et sentant sa destinée ailleurs il n'avait cherché dans les livres qu'un passe-temps et un pis-aller. Il offrait donc sous l'esprit et les observations générales dont il se couvrait, des suites d'un savoir assez solide, mais interrompu, à travers de grands espaces restés en friche. C'était de politique et de portions d'histoire que se composait surtout sa culture ; je la comparais, à part moi, à des fragments de chaussée romaine en une contrée vaste et peu soumise. Le premier jour que je l'allai visiter, quand nous entrâmes dans sa bibliothèque, un livre récent était ouvert sur la table : j'en regardai le titre, j'y cherchai le