Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/56

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s'élève et à moins qu'une autre voix souveraine n'y coupe court, l'être entier frissonne d'un si magnétique mouvement, - que, sur la foi de tant d'annonces on ne peut croire que l'amour n'est pas là chez nous prêt à suivre, avec son enthousiasme intarissable, les perfections toujours nouvelles dont il dispose, et l'éternité de ses promesses. Mais qu'on aille, qu'on condescende à ces leurres ; qu'on n'interdise pas au désir cette parole charmante qu'il insinue ; qu'on ne scelle pas à jamais ses sens sous l'inviolable bandeau du mystère, les offrant en holocauste à l'union sans tache de la divine Epouse ; ou qu'on ne les confine pas de bonne heure (dans un ordre humain et secondaire) au cercle sacré du mariage, encore sous l'oeil du divin Amour ; - qu'on aille donc et qu'on essaie un peu de ces vaines délices. Comme le divorce de l'amour et des sens se fait vite, forcément ?

Douleur ou dégoût, comme leur distinction profonde se manifeste ! A mesure que les sens avancent et se déchaînent en un endroit, l'amour vrai tarit et s'en retire. Plus les sens deviennent prodigues et faciles, plus l'amour se contient, s'appauvrit ou fait l'avare : quelquefois il s'en dédouble nettement, et rompant tout lien avec eux, il se réfugie, se platonise et s'exalte sur un sommet inaccessible, tandis que les sens s'abandonnent dans la vallée aux courants épais des vapeurs grossières. Plus les sens alors s'acharnent à leur pâture, plus lui, par une sorte de représailles se subtilise dans son essence. Mais cette contradiction d'activité est désastreuse. Si les sens agissent trop à l'inverse de l'amour,tout différents qu'ils sont de lui, ils le tuent d'ordinaire ; en s'usant eux-mêmes ils raréfient en nous la faculté d'aimer. Car, si les sens ne sont pas du tout dans l'homme la même chose que l'amour, il y a en ce monde une alliance passagère, mais réelle, entre l'amour et les sens, pour la fin secondaire de la reproduction naturelle et l'harmonie légitime du mariage. De là l'apparente