Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/55

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e. Il vient un âge dans la vie, où un beau site, l'air tiède, une promenade à pas lents sous l'ombrage, un entretien amical ou la réflexion indifféremment suffisent ; le rêve du bonheur humain n'imagine plus rien de mieux : mais, dans la vive jeunesse, tous les biens naturels ne servent que de cadre et d'accompagnement à une seule pensée. Cette pensée restant inaccomplie, cet être dont Dieu a permis la recherche modérée à la plupart des hommes ne se rencontrant pas d'abord trop souvent le cœur blasphème ; on s'exaspère, on s'égare ; on froisse du pied le gazon naissant, et l'on en brise les humbles fleurs, comme on arrache les bourgeons aux branches du chemin ; on repousse d'une narine enflammée ce doux zéphyr qui fraîchit ; on insulte par des regards désespérés au don magnifique de cette lumière.

Et ces doux sites ces tièdes séjours cependant, qui, à l'âge de la sensibilité extrême, ont paru vides cuisants et amèrement déserts et qui plus tard notre sensibilité diminuant, la remplissent, ne laissent de trace durable en nous que dans le premier cas. Dès qu'ils deviennent suffisants au bonheur, ils se succèdent, se confondent et s'oublient : ceux-là seuls revivent dans le souvenir avec un perpétuel enchantement, qui semblèrent souvent intolérables à l'âge de l'impatience ardente.

A cet âge où j'étais alors et où vous n'êtes déjà plus, mon jeune ami, les sens et l'amour ne font qu'un à nos yeux ; on désire tout ce qui flatte les sens on croit pouvoir aimer tout ce qu'on désire. Je donnais aveuglément dans l'illusion. Le cœur, en cette crise, est si plein de facultés sans objet et d'une portée inconnue ; la vie du dehors et la nôtre sont si peu débrouillées pour nous ; un phosphore si rapide traverse, allume nos regards ; de telles irradiations s'en échappent par étincelles et pleuvent alentour sur les choses ; dès que la voix du désir