Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/61

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d'une paupière céleste dans laquelle il daigne éclater ; elles peuvent user chastement d'un amour unique pour remonter par degrés à l'amour de tous et à l'Amour du Seul Bon.

Ah ! si elles y réussissent par cette voie, si ce qu'elles ressentent n'est ni un égoïsme exclusif ni une pesante idolâtrie, si en passant par le voile de la figure aimée les rayons sacrés ne s'y brisent pas comme sur la pierre, si à aucun moment ils ne deviennent coupants comme des glaives ou perçants comme des éclairs, s'ils demeurent reconnaissables à travers le disque vivant qui doit à la fois les concentrer, les élargir et les peindre pour notre infirme prunelle, ah ! tout est bien tout est sauf, tout se répare. Et quand l'être aimé meurt avant nous quand les rayons de l'Amour saint nous arrivent désormais à travers cette forme glorieuse, transfigurée, de l'amante, et son enveloppe incorporelle, on a moins à craindre encore qu'ils ne dévient, qu'ils ne se brisent, et ne nous soient dangereux et trompeurs : la présence à nos côtés la descente en nos nuits de l'Ombre angélique, ne fait alors qu'attendrir davantage, voiler de reflets mieux adoucis rechanger et rajeunir sans cesse en notre exil cette lumière où elle nage, dont elle est vêtue, et qui, grâce à elle, commence dès ici-bas, au milieu des pleurs, notre immortelle nourriture.

Mais où vais-je de la sorte, mon ami ? j'étais avec vous, ce me semble, dans les bosquets de Couaën, où je m'oubliais ; j'y poursuivais sous mille formes le fantôme qui m'enveloppait de son nuage, qui oppressait mon front et mes yeux, mais dont je ne pouvais démêler la figure. Rien ne m'était plus funeste, disais-je, que cette application continue sur un tel objet. Couvés ainsi, fondus sourdement pour une pensée échauffée, les sens et l'amour entraînent dans un obscur mélange nos autres facultés et tous nos principes. C'est un lent ravage intérieur et comme une dissolution souterraine dont, à