Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/62

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la première découverte, on a lieu d'être effrayé. Tandis que chez le jeune homme vraiment chaste, qui tempère sa pensée, toutes les vertus de l'âme, comme tous les tissus du corps, s'affermissent, et que l'honnête gaieté, l'ouverture aux plaisirs simples, l'énergie du vouloir, l'inviolable foi dans l'amitié, l'attendrissement cordial envers les hommes, le frein des serments, la franchise de parole et quelque rudesse même que l'usage polira, composent un naturel admirable où chaque qualité tient son rang et où tout s'appuie, ici dans la chasteté illusoire, par l'effet de cette liquéfaction prolongée qu'elle favorise, les fondements les plus intimes se submergent et s'affaissent ; l'ordonnance naturelle et chrétienne des vertus entre en confusion ; la substance propre de l'âme est amollie. On garde les dehors mais le dedans se noie ; on n'a commis aucun acte, mais on prépare en soi une infraction universelle. Cette chasteté menteuse, où chauffe un amas de tous les levains est sans doute pire à la longue que ne le serait d'abord une incontinence ménagée.

D'autres idées, plus raisonnables si l'on veut, plus consistantes du moins, avaient part aussi à mes excursions pensives. J'étais venu à Couaën pour m'ouvrir un accès dans la vie, pour gravir, en y faisant brèche, sur la scène active du monde ; malgré ma confiance en mon noble guide, je commençais à croire que je m'étais abusé. Je me sentais dans une voie fausse, impossible, et qui n'aboutissait pas. Il me semblait que toutes les peines que nous prenions nous imaginant avancer, se pouvaient comparer à la marche d'une bande de naufragés sur une plage périlleuse : ainsi nous nous traînions le long de notre langue de sable, de rocher en rocher, guettant un fanal rêvant une issue, sans vouloir reconnaître que nous tournions le dos à la terre et que la marée montante du siècle, qui nous avait dès longtemps coupé l'unique point de retour, gagnait à