Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/71

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avec un feu et un développement inaccoutumés. Madame de Couaën me regardait d'un air d'étonnement : un génie s'éveillait en moi ; car j'étais de ceux, mon ami, dont la force tient à la tendresse ; et qui demandent toute inspiration à l'amour. Le soir, retiré dans ma chambre, une souffrance plus aiguë, mais moins désespérée qu'auparavant, suspendait ma lecture et gagnait mes songes ; au réveil, mon premier mouvement était de me sonder l'âme pour y retrouver ma blessure : j'aurais trop craint d'être guéri.

Mais on s'habitue aux blessures qui persistent : si rien ne les renouvelle et ne les ravive, on les discerne bientôt malaisément de ses autres affections fondamentales. On est tenté de croire qu'elles s'assoupissent, tandis qu'au contraire elles minent sourdement. Une semaine au plus écoulée, il y avait déjà des doutes en moi et une incertitude qui ramenait toute ma langueur. Je me disais : Est-ce donc là en réalité l'amour ? Depuis l'heure où j'avais douloureusement senti cet amour s'engendrer dans mon chaos où je l'avais salué en mon sein avec le tressaillement et presque l'orgueil d'une mère, je ne savais guère rien de nouveau sur son compte ; ma vie reprenait son train uniforme de tristesse. Je voyais, il est vrai, madame de Couaën seule et l'accompagnais volontiers ; mais c'étaient des scènes plus ou moins semblables des répétitions toujours délicieuses elle présente ; toujours vaines et sans trace, elle évanouie.

Cet amour qui ne s'essayait pas en venait par instants à ne plus se reconnaître. Mon ami, mon ami, que puis-je vous dire ? je n'ai pas à vous raconter d'aventures. En ce moment et plus tard encore, ce sera perpétuellement de même, une vie monotone et subtile, des pages blanches, des jours vides, des intervalles immenses pour des riens, des attentes dévorantes et si longues qu'elles finissaient par rendre stupide ; peu d'actes des sentiments sans fin ; des amas de commentaires sur