Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/75

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plus le symbole : mais évitais-je tout à fait le piège ? mais, en étudiant la lampe sous l'albâtre, ne m'arrêtais-je pas trop aux contours ? Ce regard fixe et avide ne cherchait-il donc uniquement qu'à comprendre ? ne tâchait-il pas quelquefois de se faire comprendre aussi et d'interroger Il ne se retirait-il point par moments, rebuté du calme et du front sans trouble dont on l'accueillait, comme si c'eût été un refus ? ne s'irritait-il jamais que l'enfant inattentif l'eût pu juger singulier, et que l'objet passionnément chéri parût le trouver si simple ?

Et puis la beauté la plus égale et la mieux soutenue ici-bas a nécessairement ses heures d'éclipse et de défaillance ; elle ne nous offre pas dans un jour constant sa portion idéale, éternelle. Il est des saisons et des mois où elle devient sujette aux langueurs. Elle se lève dans un nuage qui ne la quitte pas et qui la revêt d'une tiédeur perfide. Ses yeux nagent, ses bras retombent, tout son corps s'oublie en d'incroyables postures ; sa voix flatteuse va au cœur et fait mourir. Quand on approche, l'émotion gagne, le trouble est contagieux ; chaque geste, chaque parole d'elle semble une faveur. On dirait que ses cheveux, négligemment amassés sur sa tête, vont se dénouer ces jours-là au moindre soupir et vous noyer le visage ; une volupté odorante s'exhale de sa personne comme d'une tige en fleur. Ivresse et poison ! fuyez : toute femme en certains moments est séductrice.

A ces moments, en effet, je voulais fuir, je fuyais même quelquefois et m'absentais de Couaën pour plusieurs jours.

L'idée de mariage alors me revenait : un amour virginal, à moi seul, et dans le devoir, ne pouvait-il donc balancer, me disais-je, l'attrait énervant de ces molles amitiés avec les jeunes femmes. Il Je m'y rejetais éperdument ; je me peignais le foyer, son repos sérieux, ses douceurs fortes et permises. Les préludes