Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/76

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gracieux que j'avais auparavant connus à la Gastine, se réveillaient d'eux-mêmes sous mes regards et recommençaient en moi un chaste et rougissant tableau de flamme naissante. Deux mauvais vers de ma façon, dont je me souviens encore, se mêlaient, je ne sais trop comment, à ce vague épithalame :

Fi des yeux, les amants se peuvent adorer, Sous les yeux des parent ; qui semblent ignorer !

Mais, subterfuge bizarre ! au lieu de me diriger dans ces instants vers mademoiselle de Liniers, qui était toute trouvée, et près de laquelle, au fond, je me regardais bien comme assez engagé pour ne rien conclure ailleurs ; j'allais imaginer des projets d'union avec quelqu'une des jeunes filles que j'avais pu apercevoir aux châteaux d'alentour.

Puis, quand j'avais brodé de la sorte une pure fantaisie, et que mon cœur, derrière cela, se croyait fort comme sous la cuirasse, je raccourais à Couaën consulter la dame judicieuse. Elle se prêtait indulgemment à ces projets contradictoires à ces folles ébauches que je poursuivais surtout pour côtoyer de plus près et plus aveuglément son amour, pour m'initier avec elle dans mille détails familiers dont elle était le but constant. Quand nous avions causé à loisir des beautés campagnardes entre lesquelles hésitait mon choix, elle s'employait, en riant, à me donner occasion de les rencontrer. Ces amitiés captieuses sont si sûres d'elles-mêmes qu'elles ne font pas les jalouses. Il y avait à une demi-lieue de Couaën un gentillâtre singulier, petit et vieux veuf avec une fille de dix-sept ans qu'on disait belle :

Madame de Couaën me mena chez eux un jour. Je connaissais déjà le père pour l'avoir vu à nos réunions politiques où il s'emportait quelquefois, bien que son correctif d'habitude, après chaque phrase, fût : “ Pour moi, messieurs je ne conspire