Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/80

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d'actions bonnes, de souvenirs nombreux et pacifiants, pour que mon dernier sommeil soit doux, pour qu'un songe heureux, paisiblement déployé, enlève mon âme des bras de l'agonie et la dirige aux lumières du rivage.

A peine guéri de mon projet de retraite dans l'île, je me reportai plus loin ; je méditai une solitude moins étroite et moins âpre derrière un plus large bras de l'Océan. Madame de Couaën m'avait souvent entretenu de sa maison natale, à un mille de Kildare, dans le comté de ce nom ; elle y avait vécu jusqu'à son départ d'Irlande, et sa mère y habitait encore. Je connaissais pour les lui avoir fait décrire en mainte circonstance, les moindres particularités de ces lieux, la longue allée entre une double haie vive qui menait à la porte grillée, les grands ormes de la cour, et, du côté du jardin cette bibliothèque favorite aux fenêtres cintrées où couraient le chèvrefeuille et la rose ; j'avais présents à toute heure les pots d'oeillets qui embaumaient, les caisses de myrte sur les gradins du perron ; la musique des oiseaux, à deux pas, dans les buissons du boulingrin ; latéralement les touffes épaisses d'ombrage, et, en face, au milieu, une échappée à travers la plus fraîche culture dont la rivière Currah animait le fond. C'est là, dans ce cadre verdoyant, que mon amour se figurait la douce Lucy, en robe blanche, nu-tête, donnant le bras à sa mère affaiblie, la faisant asseoir sur un banc au soleil, lui remettant à la main sa longue canne dès qu'il fallait se lever et marcher : “ Oh ! oui, m'écriai-je involontairement devant cette fille pieuse, quand j'étais témoin de ses trop vives inquiétudes ; oui, madame, j'irai rejoindre votre mère là-bas lui porter vos tendresses, la consoler de votre absence, la soigner en votre place ; je tiendrai à vous plus uniquement que jamais ; je serai pour elle un autre vous-même. ” Et je me faisais redire, comme à un messager