Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/79

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moi l'Océan et ses sillons arides, mon regard s'arrêtait volontiers à une petite île dépouillée qui surgissait à peu de distance du promontoire voisin. Antique séjour, dit-on, d'un collège de Druides ; puis, plus tard monastère chrétien ; aujourd'hui déserte, à l'exception de quelques huttes misérables ; j'imaginai, à force de la voir, de m'y installer en solitaire, de cultiver sur ce roc sans verdure ma pensée éternelle et sans fleur, et de n'en revenir visiter l'objet vivant qu'une fois par semaine au plus dans la dévotion d'un pèlerinage. Un jour donc prétextant une absence, et sans confier ma résolution à personne, je passai en canot dans l'île dès le matin. J'en parcourus tout d'abord avec une sorte de joie sauvage les ruines, les escarpements, les pierres monumentales ; j'en fis plusieurs fois le tour.

Tant que le soleil brilla sur l'horizon ce fut bien : mais la nuit en tombant m'y sembla morne et mauvaise. La journée et le soir du lendemain redoublèrent mes angoisses ; de mortels ennuis m'obsédèrent. Les ténébreux désirs les pensées immondes naissaient pour moi de toutes parts dans ces sites austères où je m'étais promis pureté d'âme et constance. Sur cet espace resserré je rôdais aux mêmes endroits jusqu'au vertige ; je ne savais où me fuir, de quel dieu sanglant épouvanter ma mollesse ; je me collais les mains et la face aux blocs de granit. Cet altier stoïcisme de la veille m'avait rudement précipité à un mépris abject de moi. Le sommeil me vint enfin sous le toit d'un pêcheur, mais un sommeil trouble, épais, agité, pesant comme la pierre d'un sépulcre et bigarré comme elle de figures et d'emblèmes pénibles. O Dieu ! le soir de la vie, la nuit surtout qui doit suivre, ressemblerait-elle pour le lâche voluptueux à ces soirs et à ces nuits de l'île des Druides ? ô Dieu ! grâce s'il en est ainsi, grâce ! je veux me retremper en toi avant le soir, te prier tandis que le soleil luit toujours et qu'un peu de force me reste ; je veux m'entourer