Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/84

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puis nous revînmes doucement, comme nous étions revenus tant de fois. Pour mieux rassasier sa douleur, pour lui montrer combien, à l'instant de l'annonce funeste, ma pensée, non moins que la sienne, était d'avance tout entière à l'objet ravi, je lui contai le projet qu'avait arrêté sa venue ; elle lut la lettre que j'avais écrite : son trouble fut grand nous mêlions nos âmes : “ Oh ! promettez que vous ne partirez jamais me disait-elle ; M. de Couaën vous aime tant ! vous nous êtes nécessaire. Ma mère n'est plus, j'ai besoin de vous pour vous parler d'elle et de ces choses que vous seul savez écouter. ”

— Le lendemain après une conversation inépuisable sur l'objet révéré, tout d'un coup, et sans liaison apparente, elle s'écria en me regardant de ce long regard fixe qui n'était qu'à elle : “ Dites vous resterez avec nous toujours vous ne vous marierez jamais ! " Je ne répondais qu'en suffoquant de sanglots et par mes pleurs sur ses mains que je baisais.

M. de Couaën arriva le jour suivant. Les dépêches étaient graves et plus décisives que nous n'aurions pu croire. Une rupture de l'Angleterre paraissait imminente ; nos amis projetaient de petits débarquements successifs ; tout d'ailleurs se nouait étroitement à Paris. M. de Couaën, ayant le besoin de s'y rendre lui-même, nous annonça qu'il partait incontinent ; mais par réflexion, et pour dérouter les conjectures, il fut convenu qu'il emmènerait sa femme et ses enfants, et que je les accompagnerais : cela ainsi aurait tout l'air d'un voyage en famille. Le vieux serviteur François, durant cette quinzaine, restait chargé du soin de la côte. La veille de ce prompt départ, madame de Couaën étant occupée