Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/92

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ou des pasteurs.

M. de Couaën n'avait pas le sentiment des temps modernes.

Le soir tombait, nous redescendions tous les deux assez pesamment l'éternelle et chère montagne. C'était presque dans le ciel le même instant de déclin que quand j'étais redescendu la première fois avec elle, il y avait un peu plus d'un an ; et à cette saison avancée, sous cette froide teinte automnale, le souvenir de la soirée sereine se ranimait en moi par le contraste des moindres circonstances. A la conversation remplie de tout à l'heure avaient succédé quelques-uns de ces mots rares et insignifiants qui témoignent la fatigue d'une pensée prolongée : le marquis, de plus en plus sombre, poussait intérieurement la sienne.

Comme je levais les yeux au tournant de la descente, j'aperçus vers l'angle du rempart, à l'endroit juste d'où la première fois il nous avait vus venir, celle même que je conduisais alors. Elle nous guettait du logis à son tour et brillait de loin sur sa plate-forme, comme une apparition de châtelaine, blanche dans l'ombre, calme et clémente :

« Regardez, ne pus-je m'empêcher de m'écrier en touchant le bras du marquis, regardez, ne voilà-t-il pas l'Espérance ?


Lucia nimica di ciascun crudele.


C'est Dante, marquis. Dante le poète des proscrits et des âmes fortes comme la vôtre, qui dit cela. ” Un bref sourire fronça railleusement sa lèvre ; il le recouvrit aussitôt de quelques mots affectueux.

Vous figurez-vous nettement, mon ami, le cours de la pente et le point tournant de l'avenue où se passaient ces choses ? avez-vous bien noté, dans ses accidents les plus simples, cette route toujours la même ? vous y ai-je assez souvent ramené, pour vous la peindre ? si vous la visitiez, la reconnaîtriez-vous. Il si je meurs demain,