Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/93

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ce coin désert du monde se conservera-t-il en une mémoire ? Ou plutôt ne vous ai-je pas lassé en pure perte sur des traces sans but ? n'avez-vous pas trouvé, à me suivre la montée bien lente, la contemplation bien longue, et le retour par trop appesanti ? n'avez-vous pas été rebuté devant ces ennuis que j'aime, et cette monotone grandeur ? Si cela est, mon ami, patience ! voici qu'enfin nous quittons ces lieux... Couaën, dans trois semaines, me reverra un instant ; mais non plus la montagne. Une seule fois encore, la dernière et la suprême, quand j'y reviendrai, sept longues années auront pesé sur ma tête : ce sera le lendemain ou le soir des plus formidables et des plus agonisantes de mes heures d'ici-bas ; ma destinée profane sera close, scellée à jamais sous la pierre. Pèlerin courbé et saignant, vous me verrez porter la cendre du sacrifice au haut de cette même colline où naquit mon désir : le marquis et moi, appuyés l'un sur l'autre, nous la monterons !

Et pourtant, un inexprimable regret se mêle à la pensée du premier charme. Les hommes, dont la jeunesse et l'adolescence se sont passées à rêver dans des sentiers déserts, s'y attachent et y laissent, en s'en allant, de bien douces portions d'eux-mêmes, comme les agneaux leur plus blanche laine aux buissons. Ainsi, hélas ! je laissai beaucoup à la bruyère de la Gastine ; ainsi surtout à celle de Couaën. Bruyères chéries, ronces solitaires qui m'avez dérobé, quand je m'en revenais imprudemment, qu'avez-vous fait de mon vêtement de lin et de la blonde toison de ma jeunesse ?



Le voyage fut pour moi, mon ami, ce qu'est toujours le premier voyage hors du canton natal, un voyage avec