Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/97

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déplacez vos horizons ; attisez votre soif de guerre ; distrayez-vous le regard ! la fin du désir, le terme et la palme de l'effort est toujours l'amour. Si je l'avais eu alors, l'amour dans sa vérité et sa certitude ; si l'être trop pur, à qui , je vouais un feu sans aliment et sans éclat, ne m'avait fait à jamais douter, jusqu'au fond de moi, du mot souverain. Je l'aime ; si dans ces Tuileries inconnues, sous les marronniers effeuillés autour du vert tapis solitaire que foule Atalante, quelques paroles fatales, éternelles, avaient osé s'embraser et m'échapper ; si enfin coupable et brûlant que j'étais alors, j'avais cru fermement à mon mal, ah ! du moins, que ce mal m'eût paru meilleur que tout !

Comme il eût éclipsé le reste ! Groupes dorés resplendissant matin du siècle, astre consulaire, comme je vous aurais méprisés ! L'homme qui aime et qui est sûr d'aimer, s'il passe à l'écart le long d'une foule enivrée et glorieuse, est pareil au Juif avare qui porterait un diamant hors de prix, solide et limpide, enchâssé dans son cœur, de quoi acheter au centuple cette fête qu'il dédaigne comme mesquine, et ceux qui l'admirent, et ceux qui la donnent, tandis que lui, d'un simple regard sur le cristal magique, il y peut à volonté découvrir plus de conquêtes que Cyrus plus de magnificences que Salomon.

Quoique mon amour ne dût jamais figurer au-dedans un cristal d'une telle transparence et si merveilleusement doué, quoiqu'il ne se dessinât au plus que par lignes tremblantes égarées et confuses, le mouvement toutefois qu'il subissait, et les secousses diverses, aidaient à l'accroître et lui donnaient plus de corps et de réalité. Le dépaysement surtout et la variété des lieux, quand on commence d'aimer, tournent au profit de l'amour ; comme tout ce qu'il rencontre lui est tributaire, il ressemble à ces eaux qui grossissent plus vite en se déplaçant. Si l'on passe d'une longue et calme