Page:Sainte-Palaye - Projet d'un glossaire françois, 1756.djvu/10

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toire n’avoient point ce secours, et n’ont point laissé d’être experts dans la lecture de nos vieilles Chroniques et de nos anciennes Chartres. J’en conviendrai, si l’on veut ; mais du moins faut-il m’accorder qu’à l’aide d’un Glossaire, les habiles gens les auroient encore mieux lues, ou plus facilement entendues. Les premiers pas, toujours les plus rebutants dans quelque carrière que ce soit, auroient été pour eux, et moins longs et moins pénibles : les Auteurs auroient plus utilement employé le temps qu’ils perdirent à s’échaffauder, à tâtonner, à deviner.

Comment se résoudre, disent les autres qui s’effrayent de l’immensité des recherches, à s’user les yeux sur une multitude de titres qui n’apprennent rien, ou presque rien ; à dévorer d’anciens livres fastidieux et barbares qui parlent chacun leur jargon, suivant les Provinces où vécurent les Auteurs, et quelquefois même selon le caprice d’une imagination égarée, qui n’admettait ni borne, ni ordre, ni convenance dans ses métaphores et dans ses figures ? Se condamnera-t-on à passer sa vie dans ce pénible exercice, et cela pour recueillir uniquement de vieux mots, dont un grand nombre se sont conservés dans le patois de quelques cantons de Province ? Présenter à une Nation éclairée, civilisée, excessivement délicate, des mots et des tours relégués dans les entretiens grossiers de la lie du peuple, ce seroit pour fruit de ses veilles, s’exposer au ridicule que ne manqueroient pas de jeter sur un pareil ouvrage des hommes superficiels, incapables d’en apercevoir l’utilité.

Pour vaincre des difficultés si rebutantes, pour s’exposer à de tels risques, il faut, j’en conviens, une sorte de courage ; mais enfin, si l’on s’étoit une fois bien persuadé qu’à ce prix on eût pu rendre un service considérable aux Lettres, à sa Nation, certainement, d’autres avant moi, se seroient chargés de cette entreprise. Quelle confiance d’ailleurs ne devoit point donner l’exemple du célèbre Du Cange, dont la mémoire ne périra jamais, tant qu’il restera parmi nous une étincelle de cet amour de la patrie, qui doit animer tous nos Savants.