Page:Sallust - Traduction de Jean Baudoin, 1616.djvu/239

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n’eſt point reputé pour neant ; & qu’il y a par vn droit de nature diuerſes recompenſes pour les bons & pour les meſchans. Que ſi elles arriuent quelquesfois vn peu tard, vn chaſcun ne laiſſe pas d’en attendre dans l’ame vn euenement tel que la conſcience luy repreſente.

Que ſi la Patrie & vos Deuanciers pouuoient maintenant parler à vous, ſans doute ils vous diroient ces parolles. O Ceſar, nous, en qui la valeur a eſté grande autresfois, t’auons engendré dans la meilleure ville du monde, auec eſperance que tu ſerois vn iour tout noſtre honneur, noſtre principal ſecours, & la terreur de nos ennemis. Lors de ta naiſſance nous t’auons remis auec la vie toutes les choſes par nous acquiſes parmy les trauaux, & au milieu des dangers ; à ſçauoir dans ce monde vne ample patrie, & en icelle vne maiſon auec vne famille tres-illuſtre d’auantage des arts honnorables ; d’honneſtes richeſſes, & finallement tous les ornements de la paix, & les proffits de la guerre. Pour recognoiſſance de ſi grands biens-faicts, nous ne te requerons point de faire quelque acte infame & meſchant : mais ſeulement de reſtablir la liberté que tu vois eſtre abbatuë. Si tu le fais, ta renommee volera par toutes les nations de la terre. Car bien qu’au temps où nous ſommes, tu ayes faict pluſieurs belles choſes en temps de paix & de guerre, toutesfois il ſe treuue pluſieurs vaillans hommes dont la gloire eſt eſgalle à la tienne. Mais ſi tu remets en eſclat vne ville dont la reputation eſt auſſi grande que ſon Empire, & qui neantmoins penche à ſon occident, où treuuera-t’on l’homme dans le monde qui te ſurpaſſe en grandeur & en renommee ? Que s’il aduient autrement à cét Empire, ſoit par ſon propre mal, ou par quelque fatalité, peut-on mettre en doute que ſa perte ne donne naiſſance aux degaſts, aux guerres & aux meurtres qui ſe feront par le monde ? Tellement que ſi tu es poſſedé d’vn bon deſir d’obliger la patrie & les tiens, par le reſtabliſſement de la Republique, ta gloire ſe fera cognoiſtre à l’aduenir par deſſus tous les mortels, & ta ſeule mort ſera plus illuſtre que ta vie. Car ſi la Fortune trauerſe les viuans, l’enuie les trauaille encore plus fort, là où la vertu s’eſleue plus haut quand la vie a rendu à la Nature le deuoir qu’elle luy doit.

Ie vous ay eſcrit le plus ſuccinctement que i’ay peu les choſes qui m’ont ſemblé bonnes à faire, & vtiles à vous. Au reſte ie prie les Dieux immortels, de donner vn heureux ſuccez tant à vos