Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/162

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jamais eu à se plaindre de leurs tribunaux, où le riche et le pauvre indistinctement, et d’après la loi du sort, prononcent sur les plus importantes comme sur les moindres affaires. Quant à l’élection des magistrats, ce n’est pas sans raison que j’aime la loi promulguée par C. Gracchus pendant son tribunat, afin que les centuries fussent tirées au sort dans les cinq classes sans distinction. Par là rendus égaux en prérogatives (9) et en biens, ce sera par le mérite que les citoyens s’efforceront de se surpasser les uns les autres.

VIII. Voilà les grands remèdes que je propose contre les richesses ; car enfin les choses ne sont estimées et recherchées qu’autant qu’elles sont d’usage : on n’est méchant que parce qu’on y trouve du profit. Supprimez ce profit, personne au monde ne fera le mal pour rien. Au reste, l’avarice est un monstre farouche, indomptable, et qu’on ne saurait tolérer : où elle se montre, elle dévaste tout, villes et campagnes, temples et maisons ; elle bouleverse le sacré et le profane ; point d’armée qui l’arrête, point de murailles où elle ne pénètre de force ; réputation, pudeur, enfants, patrie, famille, elle enlève tout aux mortels. Mais qu’on abolisse la considération attachée à l’argent, et cette grande puissance de l’avarice sera aisément vaincue par les bonnes mœurs.

Et, bien ces vérités soient reconnues par tous les hommes, qu’ils pensent bien ou mal, il faut te préparer cependant a de rudes combats contre la faction des nobles ; mais, si tu évites leurs pièges, tout le reste te sera facile. En effet, s’ils pouvaient se prévaloir d’un mérite réel, ils voudraient plutôt être les émules que les détracteurs des gens de bien ; c’est parce qu’ils sont lâches, efféminés, plongés dans la stupeur et l’engourdissement qu’ils murmurent, qu’ils cabalent, qu’ils considèrent la gloire d’autrui comme leur propre déshonneur.

IX. Mais pourquoi parlerai-je d’eux davantage comme s’ils étaient inconnus ? Pour ce qui est de M. Bibulus son courage et sa force d’âme ont éclaté durant son consulat (10). Nous l’axons vu la langue empâtée et l’esprit plus méchant que rusé. Qu’oserait-il celui pour qui le consulat, le comble des honneurs, a été le comble de la dégradation ? C’est encore un homme bien redoutable que L. Domitius, lui qui n’a pas un seul membre qui ne soit marqué d’un vice ou d’un crime (11) ; homme à la langue sans foi, aux mains sanglantes, aux pieds légers à fuir, et qui a déshonoré même ce qu’on ne peut honnêtement nommer ? Il en est un toutefois, M. Caton, dont l’esprit habile, éloquent, pénétrant, ne me semble pas à mépriser. On acquiert ces qualités à l’école des Grecs ; mais on ne trouve chez les Grecs ni force, ni activité, ni amour du travail. En effet, comment des gens qui n’ont pas eu le cœur de maintenir chez eux la liberté, seraient-ils propres à donner de bons préceptes de gouvernement ? Quant au reste de cette faction, ce sont des nobles sans caractère et qui, semblables à des statues, n’ont pour eux que leur nom. L. Postumius et M.Favonius (12) me font l’effet de ces fardeaux superflus dont on charge un grand navire. Si l’on arrive à bon port, on en tire parti ; mais à la première menace de tempête, c’est d’eux qu’on se débarrasse d’abord, comme de ce qu’il y a de moins précieux.

X. Maintenant que j’ai indiqué, ce me semble,