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Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/282

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vivant en société commune, des terres en tels lieux et quantité qu’ils jugent à propos ; et l’année suivante ils les obligent de passer ailleurs (9). Ils donnent beaucoup de raisons de cet usage : la crainte que l’attrait d’une longue habitude ne fasse perdre le goût de la guerre pour celui de l’agriculture ; que chacun, s’occupant d’étendre ses possessions, les plus puissants ne chassent des leurs les plus faibles ; qu’on ne se garantisse du froid et de la chaleur par des habitations trop commodes ; que l’amour des richesses ne s’introduise parmi eux et ne fasse naître les factions et les discordes ; on veut enfin contenir le peuple par un esprit de justice, en lui montrant une parfaite égalité de biens entre les plus humbles et les plus puissants.

XXIII. La plus grande gloire pour un état est d’être entouré de vastes solitudes et de pays ravagés par ses armes. Ils regardent comme le propre de la valeur de forcer leurs voisins à abandonner leur territoire, et de faire que personne n’ose s’établir auprès d’eux. D’ailleurs, ils se croient ainsi plus en sûreté, n’ayant pas à craindre une invasion subite. Lorsqu’un état fait la guerre, soit qu’il se défende, soit qu’il attaque, on choisit, pour y présider, des magistrats qui ont droit de vie et de mort. Pendant la paix, il n’y a point de magistrature générale ; les principaux habitants des cantons et des bourgs rendent la justice à leurs concitoyens et arrangent les procès. Aucune infamie n’est attachée aux larcins qui se commettent hors des limites de l’état ; ils prétendent que c’est un moyen d’exercer la jeunesse et de la préserver de l’oisiveté. Lorsque, dans une assemblée, un des principaux citoyens s’annonce pour chef d’une expédition, et demande qui veut le suivre, ceux qui jugent avantageusement de l’entreprise et de l’homme se lèvent, lui promettent leur assistance, et sont applaudis par la multitude. Ceux d’entre eux qui l’abandonnent sont réputés déserteurs et traîtres, et toute espèce de confiance leur est désormais refusée. Il ne leur est jamais permis de violer l’hospitalité. Ceux qui viennent à eux, pour quelque cause que ce soit, sont garantis de toute injure et regardés comme sacrés : toutes les maisons leur sont ouvertes ; on partage les vivres avec eux (10).

XXIV. Il fut un temps où les Gaulois surpassaient les Germains en valeur, portaient la guerre chez eux, envoyaient des colonies au-delà du Rhin, vu leur nombreuse population et l’insuffisance de leur territoire. C’est ainsi que les terres les plus fertiles de la Germanie, près de la forêt Hercynienne[1], (qui me paraît avoir été, par la renommée, connue d’Eratosthène (11) et de quelques autres Grecs, sous le nom d’Orcynie), furent envahies par les Volkes-Tectosages[2], qui s’y fixèrent. Cette nation s’est jusqu’à ce jour maintenue dans cet établissement et jouit d’une grande réputation de justice et de courage ; et encore aujourd’hui, ils vivent dans la même pauvreté, le même dénuement, la même habitude de privation que les Germains, dont ils ont aussi adopté le genre de vie et l’habillement. Quant aux Gaulois, le voisinage de la province[3], et l’usage

  1. La forêt Noire, qui malgré son étendue, ne peut être qu’une faible partie de la forêt Hercynienne.
  2. Peuple du Haut-Languedoc.
  3. La Gaule Narbonaise.