Page:Salluste, Jules César, C. Velléius Paterculus et A. Florus - Œuvres complètes, Nisard.djvu/679

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vait au-dessus même des trophées de sa défaite.

Les Teutons exterminés, on se tourne contre les Cimbres. Déjà — qui le croirait ? malgré l’hiver, qui ajoute à l’élévation des Alpes, ils avaient roulé le long des abîmes, du haut des montagnes de Tridentum, et étaient descendus en Italie. Ce n’est pas sur un pont ni sur des bateaux qu’ils veulent passer l’Athesis[1] ; mais, par une sorte de stupidité barbare, ils opposent d’abord à ce fleuve la masse de leurs corps. Après de vains efforts pour l’arrêter avec leurs mains et leurs boucliers, ils y jettent toute une forêt, le comblent et le traversent. Si leurs redoutables bataillons eussent aussitôt marché sur Rome, le danger eût été grand ; mais, dans la Vénétie, la plus délicieuse peut-être des régions de l’Italie, la douce influence de sol et du ciel énerva leurs forces. Ils s’amollirent encore par l’usage du pain, de la viande cuite et des vins exquis. C’est dans cette conjoncture que Marius les attaqua. Eux-mêmes demandèrent à notre général de fixer le jour du combat ; il leur assigna le lendemain (5). La bataille se donna dans une très vaste plaine, appelée le champ Raudien[2]. Il périt, d’un côté, jusqu’à soixante mille hommes[3] ; il y eut, de l’autre, moins de trois cents morts. Le carnage qu’on fit des Barbares dura tout le jour. Marius, imitant Annibal et ses habiles dispositions à Cannes, avait joint la ruse à la valeur. D’abord, il choisit un jour où le ciel était couvert de nuages, afin de pouvoir surprendre les ennemis, et où soufflait en outre un grand vent qui devait porter la poussière dans leurs yeux et leur visage. Ensuite, il tourna ses lignes vers l’orient ; de cette manière, comme on le sut bientôt des prisonniers, la lumière du soleil, réfléchie par les casques resplendissants des Romains, faisait paraître le ciel tout en feu.

Le combat ne fut pas moins rude contre les femmes des Barbares, que contre ceux-ci. Elles s’étaient partout retranchées derrière des chars et des bagages ; et de là, comme du haut de tours, elles combattirent avec des piques et des bâtons ferrés. Leur mort fut aussi belle que leur défense. Une députation, envoyée à Marius, ayant vainement demandé pour elles la liberté et le sacerdoce, prétention que rejetaient nos usages, elles étouffèrent pêle-mêle et écrasèrent leurs enfants, puis elles se donnèrent mutuellement des blessures mortelles ou, formant des liens de leurs cheveux, elles se pendirent aux arbres et au timon des chariots. Leur roi, Bojorix, resta sur le champ de bataille, non sans avoir combattu vaillamment, ni sans vengeance.

Le troisième corps, composé des Tigurins, qui s’était posté, comme en réserve, sur le sommet des Alpes Noriques[4], se dispersa par divers chemins ; après cette fuite honteuse, accompagnée de brigandages, il s’évanouit.

Cette nouvelle si agréable et si heureuse, de la délivrance de l’Italie et du salut de l’empire, ce ne fut pas par l’entremise ordinaire des hommes qu’elle parvint au peuple romain, mais, s’il est permis de le croire, par celle même des dieux. Le jour où cette bataille eut lieu, on vit, devant le temple de Castor, deux jeunes hommes couronnés

  1. L’Adige, rivière de l’Italie septentrionale, qui se jette dans le Pô.
  2. Près de Va. Cette indication ne se trouve que dans FLorus.
  3. Veit Paterculus dit cent mille, et Plutarque cent vingt mille.
  4. Florus est le seul auteur qui parle de ce troisième corps de Tigurius.