Page:Salverte - Essais de traductions, Didot, 1838.djvu/33

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leurs discours et de leurs actions, rien n’a pu empêcher que, plus cruels chaque jour, ils n’arrachassent aux uns leurs dignités, aux autres leur patrie.

Que dirai-je de toi-même ; toi, dont ces hommes si lâches achèteraient volontiers l’opprobre au prix de leur vie ? La jouissance du pouvoir le plus inespéré leur inspire moins de joie que ton élévation ne leur cause de douleur. Ils aimeraient mieux, pour t’écraser, mettre en péril la liberté de Rome, que de voir ce grand empire élevé par toi au comble de la grandeur. Tu n’en es que plus obligé à préparer, par un mûr examen, les moyens d’affermir et de fortifier la chose publique. Aussi n’hésiterai-je point à t’indiquer ceux que me suggère la réflexion ; ton jugement te fera discerner et approuver ce qui s’y trouvera de vrai et d’utile dans l’exécution.

Conformément aux institutions de nos ancêtres, je considère la cité comme divisée en deux parties : le sénat et le peuple[1]. L’autorité suprême résidait autrefois dans le sénat, et toute la force dans les mains du peuple. Aussi le peuple s’est-il fréquemment séparé du sénat ; et toujours il a étendu ses droits et diminue le pouvoir de la noblesse. Mais ce qui assurait la liberté du peuple, c’est que nulle puissance ne s’élevait au-dessus des lois. Le noble primait sur l’homme obscur, non par l’orgueil ou les richesses, mais par

  1. Cette expression d’une opinion susceptible de doute (arbitror), cet appel à la tradition ancienne (sicut a majoribus accepi), forment un sens bien puéril, s’il ne s’agit que de la division de fait, du peuple et du sénat. Salluste parle donc ici de la division de souveraineté qui formait deux corps politiques du sénat et du peuple : division contestée tour à tour par l’un et l’autre parti, depuis les troubles suscités par les Gracques. J’espère donner ailleurs un développement plus étendu à cette vérité politique.