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ISIDORA.

bien avec Dieu et avec moi-même que vous l’espériez ? Ne voyez-vous pas que j’ai honte de faire un pareil aveu ? Ne soyez pas cruelle, et n’abusez pas de votre ascendant, car je ne sais pas si je pourrai le subir longtemps sans me révolter. Ah ! je suis une âme malheureuse, j’ai besoin de pitié à cause de ce que je souffre ; mais la pitié m’humilie, et je ne peux pas l’accepter !



Écoutez, écoutez, s’écria Julie… (Page 33.)

— De la pitié ! Dieu seul a le droit de l’exercer ; mais les hommes ! Oh ! vous avez raison de repousser la pitié de ces êtres qui en ont tous besoin pour eux-mêmes. J’en serais bien digne, chère Julie, si je vous offrais la mienne.

— Que m’offres-tu donc, noble femme ? suis-je digne de ton affection ?

— Oui, Julie, si vous la partagez.

— Eh ! ne vois-tu pas que je l’implorerais à genoux s’il le fallait ! Oh ! belle et bonne créature de Dieu que vous êtes, prenez garde à ce que vous allez faire en m’ouvrant le trésor de votre affection ; car si vous vous retirez de moi quand vous aurez vu le fond de mon cœur, vous aurez frappé le dernier coup, et je serai forcée de vous maudire.

— Pourquoi mêlez-vous toujours quelque chose de sinistre à votre expansion ? On vous a donc fait bien du mal ? Et cependant un homme vous a rendu justice, un homme vous a aimée.

— De quel homme parlez-vous ?

— De mon frère.

— Ah ! ne parlons pas de lui, Alice, car c’est là que notre lien, à peine formé, va peut-être se rompre, à moins que ma franchise ne me fasse absoudre !…

— Pas de confession, ma chère Julie. Je sais de vous certaines choses que je comprends sans les approuver. Mais trois années de dévouement et de fidélité les ont expiées.

— Écoutez, écoutez, s’écria Julie en se pliant sur le coussin de velours resté à terre aux pieds d’Alice, dans une attitude à demi familière, à demi prosternée ; je ne veux pas que vous me croyiez meilleure que je ne le suis. J’aimerais mieux que vous me crussiez pire, afin d’avoir à conquérir votre estime, que je ne veux ni surprendre ni extorquer. Je veux vous dire toute ma vie. »

Et comme Alice fit involontairement un geste d’effroi, elle ajouta avec abattement :