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ISIDORA.

front de la courtisane : « Je vous jure, par votre rare intelligence, lui dit-elle, que si votre cœur est aussi bon que votre beauté est puissante, quoi qu’il y ait eu dans votre vie, je ne veux ni le savoir, ni le juger. Que de vous à moi, ce qui peut vous faire souffrir dans le passé soit comme s’il n’avait jamais existé. Si vous êtes grande, généreuse et sincère, Dieu a dû vous absoudre, et aucune de ses créatures n’a le droit de trouver Dieu trop indulgent. Répondez-moi donc, car je ne vous demande pas autre chose. Votre cœur est-il bien vivant ? Êtes-vous bien capable d’aimer ? Car si cela est, vous valez tout autant devant Dieu que moi qui vous interroge. »



Isidora.


Isidora, entièrement vaincue par l’ascendant de la justice et de la bonté, mit ses deux mains sur son visage et garda le silence. Son enthousiasme d’habitude avait fait place à un attendrissement profond, mais douloureux. Il lui fallait bien aimer Alice, et elle sentait qu’elle l’aimait plus encore que durant l’accès d’exaltation qu’elle avait éprouvé la veille en recevant les premières ouvertures de son amitié.

Mais le fantôme de Jacques Laurent avait passé entre elles deux, et il y avait eu de la haine mêlée à ce premier élan de son cœur vers une rivale. Maintenant le respect brisait la jalousie. L’orgueil abattu ne trouvait plus d’ivresse dans la reconnaissance. Alice n’était plus là comme une fée qui l’enlevait à la terre, mais comme une sœur de la Charité qui sondait ses plaies. La fière malade ne pouvait repousser cette main généreuse ; mais elle avait honte d’avouer qu’elle avait plus besoin de secours et de pardon que de justice.

Alice écarta avec une sorte d’autorité les mains de la courtisane et vit la confusion sur ce front que les outrages réunis de tous les hommes n’eussent pas pu faire rougir.

« Eh bien, lui dit-elle, si vous n’êtes pas sûre de vous-même, attendez pour me répondre. J’aurai du courage, et je ne me rebuterai pas.

« Je ne venais pas pour vous imposer la confiance et l’amitié. Je venais vous les offrir si vous les demandez.

— Et moi, je vous donne toute mon âme, lui répondit enfin Isidora en dévorant des larmes brûlantes.

« Ne sentez-vous pas que vous me dominez et que ma foi vous appartient ?

« Mais ne voyez-vous pas aussi que je ne suis pas aussi