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LE SECRÉTAIRE INTIME.

En parlant ainsi, maître Cantharide, car c’était lui dans son docte habit de drap noir et dans ses véritables culottes de satin, souleva sa grande épée et la dirigea vers Julien.

« Je serais bien sot, pensa rapidement le jeune homme, de me laisser égorger par ce facétieux bourreau lorsque je suis seul avec lui et que je puis lui sauter à la gorge. »

Il allait le faire en effet lorsque maître Cantharide, toujours plein de courtoisie, le pria de prendre une des extrémités de l’instrument et de l’aider à soulever le couvercle du sépulcre.

Cette nouvelle facétie parut si horrible à Saint-Julien, qu’il recula en pâlissant, et regarda autour de lui, s’attendant à voir paraître ses meurtriers au premier signe de résistance.

« Ne soyez pas effrayé, lui dit le professeur, vous ne courez aucun danger, à moins que vous ne cherchiez à vous enfuir ou à me maltraiter, et je vous crois trop bien élevé pour cela. Veuillez m’aider, vous dis-je ; c’est la volonté de Son Altesse, notre très-gracieuse souveraine, Quintilia première, et je suppose que vous n’êtes pas accessible à des frayeurs d’enfant. »

Saint-Julien, toujours plein de méfiance, mais résolu à montrer du cœur, aida maître Cantharide à soulever le couvercle du sarcophage. Le professeur enleva un grand crêpe noir, et pria Saint-Julien de prendre la boîte d’or en forme de cœur qui était dessous. Saint-Julien frissonna ; mais pensant qu’on voulait peut-être l’effrayer seulement par le spectacle du châtiment d’un autre, il prit la boîte et la présenta d’une main tremblante au professeur, qui l’ouvrit en pressant un ressort, et la lui rendit en disant : « Regardez ce qu’il y a dedans. »

Un nuage passa sur les yeux du jeune homme, et pendant quelques secondes il lui sembla voir un objet hideux, sans forme et sans nom, au fond du terrible coffret. Enfin sa vue s’éclaircit, son cœur reprit le mouvement, et il ne vit dans le velours blanc dont la boîte était doublée qu’un paquet de lettres attachées par un ruban noir.

— Lisez ces papiers, Monsieur, dit le professeur, c’est la volonté de Son Altesse. Je vais rester auprès de vous pour suppléer par mes explications aux lacunes qui vous en rendraient le sens difficile. »

Saint-Julien, ne pouvant plus se soutenir, s’assit sur les marches du tombeau. Le professeur posa une des lampes à côté de lui et déplia le premier papier.

C’était un acte de mariage contracté légalement et religieusement, mais secrètement, entre la princesse Quintilia et le chevalier Max. Ce contrat avait plus de dix ans de date.

Le second papier était un billet ainsi conçu :

« J’ai eu le malheur de vous déplaire, et je l’ai mérité. L’orgueil a enflé mon cœur un instant, et vous m’avez rigoureusement puni. Cependant vous avez été trop sévère. C’était un doux et noble orgueil que le mien ; la joie d’être aimé de vous, l’espoir de posséder bientôt la plus noble femme de l’univers, ont pu m’enivrer, et, dans un moment d’exaltation, me faire oublier la prudence. Vous m’avez pris pour un lâche courtisan, avide de monter sur un trône et de couvrir d’un titre de duc son titre de bâtard. Oh ! vous vous êtes trompée, Quintilia, j’en prends le ciel à témoin. Vous avez été cruelle, et pourtant je ne vous maudis pas ; je vais mourir loin de vous. Puissent ma conduite et ma fin vous prouver que je n’aimais en vous que vous-même. Puissiez-vous me plaindre, me pardonner, pleurer un peu sur moi, et trouver dans un autre cœur l’amour qui était dans le mien, et que vous avez méconnu !

Max. »

« Ne connaissez-vous pas l’écriture de ce billet, monsieur le comte ? dit le professeur lorsque Saint-Julien eut fini.

— Je la connais en effet, répondit Julien. Si ce n’est point un rêve, c’est celle d’un homme qui habite la ville depuis peu, et qui s’appelle Spark.

— Je crois qu’il vous sera facile de vous en assurer en lisant les lettres suivantes. Mais auparavant, il faut que je vous prie de remarquer la date de celle-ci. Elle correspond, vous le voyez, au lendemain du prétendu meurtre du chevalier Max, il y aura quinze ans dans deux mois. Vous savez, m’a-t-on dit, les motifs de l’altercation qui eut lieu dans la nuit entre la princesse et son jeune fiancé, après un souper où celui-ci s’était comporté assez légèrement. Max et Quintilia étaient alors deux enfants. La princesse avait seize ans, son amant en avait quinze. Leur querelle eut toute l’importance qu’à cet âge on donne aux petites choses. Son Altesse déclara au triste Max qu’elle ne serait jamais à lui, et, dans un mouvement de colère, lui ordonna de ne jamais reparaître devant elle. Il ne suivit que trop cet ordre précipité. Amoureux et fier, le noble jeune homme fut révolté d’avoir été soupçonné d’une basse ambition ; il partit mystérieusement dans la nuit, et alla vivre à Paris sous le nom de Rosenhaïm. Là, renonçant à toute pensée de fortune, à tout espoir d’avenir, à toute vanité humaine, il s’ensevelit, pour ainsi dire, et ne donna, pendant cinq ans, aucun signe de son existence à qui que ce soit. La princesse, après avoir pleuré son absence, reprit courage et gaieté ; car elle se flatta qu’il reviendrait. Résolue à lui pardonner, elle attendit qu’il fît les premières tentatives pour obtenir sa grâce. Au bout de quelque temps, n’entendant point parler de lui, elle crut qu’il s’était déjà consolé, et, quoique dévorée de chagrin, elle affecta de ne plus penser à lui, et souffrit les assiduités de ses nouveaux adorateurs ; mais, fidèle en dépit d’elle-même à l’unique amour de sa vie, elle ne put se résoudre à faire un nouveau choix. On a beaucoup douté de la conduite de Quintilia, Monsieur ; vous aurez des preuves irrécusables de tout ce que je vous dis…

— Eh quoi ! Monsieur, dit Julien, est-ce donc une justification dont la princesse vous charge ? C’est me faire trop d’honneur et prendre trop de peine. Je suis résigné à tous les châtiments.

— Je ne suis pas chargé de discuter avec vous, répondit le maître. Il faut que vous ayez la bonté de m’écouter, puisque mon devoir est de parler. J’en appelle à votre politesse. »

Ce ton froid et sec blessa profondément Julien. Il se tut, et écouta d’un air morne, qu’il affectait de rendre indifférent.

Le professeur reprit :

« Une année s’était écoulée ainsi ; la princesse, cédant à son inquiétude et à sa douleur, fit faire des recherches dans tous les pays et prendre secrètement des informations dans toutes les cours de l’Europe, sans qu’il fût possible de retrouver les traces de l’infortuné Max. Alors, convaincue qu’il s’était donné la mort et qu’elle avait blessé le cœur le plus noble et le plus sincère, une passion plus vive s’alluma dans le sien ; elle nourrit sa douleur avec toute l’exaltation de son âge, mais en secret et loin de tous les regards. Pour mieux s’y livrer, elle fit creuser ce caveau et sculpter ce tombeau, où elle venait pleurer chaque jour.

« Trois autres années s’écoulèrent, et je vins me fixer à Monteregale. La princesse cherchait dans les sciences une distraction à ses ennuis et un refuge contre les illusions de la vie auxquelles elle avait fait vœu de résister désormais. Elle se plut à mes entretiens et m’appela auprès d’elle jusqu’à ce que je fusse fixé dans son palais. Une affaire d’intérêt l’ayant conduite à Paris, elle me permit de l’y accompagner. Je n’avais jamais vu cette ville célèbre, et je désirais examiner les précieuses collections scientifiques qu’elle possède.

« C’est en explorant les cabinets d’histoire naturelle et les bibliothèques, que je fis par hasard la connaissance du prétendu Rosenhaïm. Je n’avais jamais vu ce jeune homme, et je fus frappé de sa beauté, de sa grâce, de son caractère noble et de ses manières affectueuses. L’amour de la science nous rapprocha bien vite. Je fus ébloui de ses connaissances et charmé de son aptitude.