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INDIANA.

profonde que Ralph nourrissait pour son fils. Elle essaya de l’excuser aux yeux de son ennemi ; il l’arrêta.



Je vous prie de ne pas toucher un cheveu de cette femme. (Page 54.)

« Je devine vos pensées, Madame, lui dit-il ; mais rassurez-vous, nous ne sommes pas destinés à nous revoir de sitôt, M. de Ramière et moi. Quant à ma cousine, ne vous repentez pas de m’avoir éclairé. Si tout le monde l’abandonne, je jure qu’au moins un ami lui restera. »

Madame de Ramière, en rentrant chez elle vers le soir, trouva Raymon qui chauffait voluptueusement ses pieds enveloppés de pantoufles de cachemire, et qui prenait du thé pour achever de dissiper les agitations nerveuses de la matinée. Il était encore abattu par ces prétendues émotions ; mais de douces pensées d’avenir ravivaient son âme : il se sentait enfin redevenu libre, et il se livrait entièrement à de béates méditations sur ce précieux état qu’il avait l’habitude de garder si mal.

« Pourquoi suis-je destiné, se disait-il, à m’ennuyer sitôt dans cette ineffable liberté d’esprit qu’il me faut toujours racheter si chèrement ? Quand je me sens pris aux piéges d’une femme, il me tarde de les rompre, afin de reconquérir mon repos et ma tranquillité d’âme. Que je sois maudit si j’en fais le sacrifice de sitôt ! Les chagrins que m’ont suscités ces deux créoles me serviront d’avertissement, et je ne veux plus avoir affaire qu’à de légères et moqueuses Parisiennes… à de véritables femmes du monde. Peut-être ferais-je bien de me marier pour faire une fin, comme on dit… »

Il était plongé dans ces bourgeoises et commodes pensées, quand sa mère entra émue et fatiguée.

« Elle se porte mieux, lui dit-elle ; tout s’est bien passé, j’espère qu’elle se calmera…

— Qui ? » demanda Raymon, réveillé en sursaut dans ses châteaux en Espagne.

Cependant il songea le lendemain qu’il lui restait encore une tâche à remplir ; c’était de regagner l’estime, sinon l’amour de cette femme. Il ne voulait pas qu’elle pût se vanter de l’avoir quitté ; il voulait qu’elle se persuadât avoir cédé à l’ascendant de sa raison et de sa générosité. Il voulait la dominer encore après l’avoir repoussée ; et il lui écrivit :

« Je ne viens pas vous demander pardon, mon amie, de quelques paroles cruelles ou audacieuses échappées au délire de mes sens. Ce n’est pas dans le désordre de