Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, 1855.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
9
FRANÇOIS LE CHAMPI.

aux pieds, et son cœur sauter si fort qu’il soulevait sa pauvre chemise. Elle le fit asseoir et tâcha de le consoler. Mais elle ne savait ce qu’elle disait, et François n’était pas en état de le deviner. Elle tira un morceau de pain de son panier, et voulut lui persuader de manger ; mais il n’en avait nulle envie, et ils restèrent là longtemps sans se rien dire.



Madame Blanchet, madame Blanchet, sauvez-moi ! (Page 10.)

Enfin, la Zabeau, qui revenait toujours à ses raisonnements, eut honte de sa faiblesse et se dit que si elle reparaissait au moulin avec l’enfant, elle était perdue. Une autre diligence passait vers le midi ; elle décida de se reposer là jusqu’au moment à propos pour retourner à la route ; mais comme François était épeuré jusqu’à en perdre le peu d’esprit qu’il avait, comme, pour la première fois de sa vie, il était capable de faire de la résistance, elle essaya de le rapprivoiser avec les grelots des chevaux, le bruit des roues et la vitesse de la grosse voiture.

Mais, tout en essayant de lui donner confiance, elle en dit plus qu’elle ne voulait ; peut-être que le repentir la faisait parler malgré elle : ou bien François avait entendu en s’éveillant, le matin, certaines paroles de la mère Blanchet qui lui revenaient à l’esprit ; ou bien encore ses pauvres idées s’éclaircissaient tout d’un coup à l’approche du malheur : tant il y a qu’il se mit à dire, en regardant la Zabelle avec les mêmes yeux qui avaient tant étonné et presque effarouché Madeleine : — Mère, tu veux me renvoyer d’avec toi ! tu veux me conduire bien loin d’ici et me laisser. — Puis le mot d’hospice, qu’on avait plus d’une fois lâché devant lui, lui revint à la mémoire. Il ne savait ce que c’était que l’hospice, mais cela lui parut encore plus épouvantant que la diligence, et il s’écria en frissonnant : Tu veux me mettre dans l’hospice !

La Zabelle s’était portée trop avant pour reculer. Elle croyait l’enfant plus instruit de son sort qu’il ne l’était, et, sans songer qu’il n’eût guère été malaisé de le tromper et de se débarrasser de lui par surprise, elle se mit à lui expliquer la vérité et à vouloir lui faire comprendre qu’il serait plus heureux à l’hospice qu’avec elle, qu’on y prendrait plus de soin de lui, qu’on lui enseignerait à travailler, qu’on le placerait pour un temps chez quelque femme moins pauvre qu’elle, qui lui servirait encore de mère.

Ces consolations achevèrent de désoler le champi. L’inconnaissance du temps à venir lui fit plus de peur que