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JEANNE.

porté qu’à remarquer leurs défauts ; et comme elle faisait part de ses soucis à la sous-préfette, celle-ci insinuait avec acharnement que Guillaume devait avoir quelque déplorable inclination pour une personne d’un rang inférieur, qu’il ne pouvait avouer. Elle nomma même Jeanne plusieurs fois ; mais comme rien, dans l’apparence, ne justifiait cette accusation, madame de Boussac ne voulut point y croire.



Marie, impressionnable comme une âme de poëte, ne pouvait s’empêcher de l’admirer. (Page 63.)

M. Harley était un mauvais auxiliaire pour ses projets ambitieux. Il essayait parfois de se conformer à ses intentions ; mais lorsque Guillaume lui demandait pourquoi il lui donnait un exemple si contraire à ses conseils, le bon Arthur restait court, souriait, et finissait par avouer qu’en fait de mariage, il ne connaissait d’autre considération que l’amour. Il était de ces Anglais qui épousent qui bon leur semble, une comédienne, une cantatrice, une danseuse même, pourvu qu’elle leur plaise ; et comme Jeanne lui plaisait par des qualités moins brillantes, mais plus essentielles, il pensait faire un acte de haute raison en même temps que de goût, en persistant à l’épouser.

Cependant il l’aimait avec patience. Il ne voulait plus l’effaroucher par des offres soudaines. Il s’était résigné à l’étudier de loin, afin de se rapprocher d’elle peu à peu, à mesure qu’il trouverait, dans les habitudes de la vie champêtre, les occasions de lui inspirer de la confiance, et de lui parler une langue qu’elle pût entendre. Il s’ingéniait avec une rare maladresse, mais avec une bonne foi touchante, à deviner les moyens de lui plaire et d’en être compris. Il s’informait de ses parents, de son pays, de ses amis toullois. Il avait été à Toull, faire connaissance avec le curé Alain pour lui parler de son projet et le mettre dans ses intérêts ; mais sous le sceau du secret, et à la condition que le bon desservant n’en parlerait à Jeanne que lorsque les manières de la jeune fille lui auraient donné quelques espérances. Il s’était fait, dans cette occasion, le messager de Jeanne pour porter, de sa part, l’argent qu’elle avait gagné, à sa tante la Grand’Gothe, et comme il avait quadruplé cette petite somme sans en rien dire à personne, et sans s’inquiéter si cette femme n’était pas une des plus riches du pays sous sa misère apparente, il lui avait donné à penser, sans s’en douter, qu’il était l’amant heureux de Jeanne, et que celle-ci avait enfin compris le parti qu’elle