Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, vol 1, 1852.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
VALENTINE.

d’intelligence en me donnant des friandises qu’elle feignait d’apporter de la part de ma grand’mère. Et quand, deux ans après, étant aux environs de Paris, j’aperçus contre la grille du jardin une femme qui avait l’air de demander l’aumône, quoique je ne l’eusse vue qu’une seule fois, qu’un seul instant, je la reconnus tout de suite. Je lui dis : « Vous avez une lettre pour moi ? — Oui, me dit-elle, et je viendrai chercher la réponse demain. » Alors je courus m’enfermer dans ma chambre ; mais on m’appela, on me surveilla tout le reste de la journée. Le soir, ma gouvernante resta auprès de mon lit à travailler jusqu’à près de minuit. Il fallut que je feignisse de dormir tout ce temps ; et quand elle me laissa pour passer dans sa chambre, elle emporta la lumière. Avec combien de peine et du précautions je parvins à me procurer une allumette, un flambeau, et tout ce qu’il fallait pour écrire, sans faire de bruit, sans éveiller ma surveillante ! J’y réussis cependant ; mais je laissai tomber quelques gouttes d’encre sur mon drap, et le lendemain je fus questionnée, menacée, grondée ! Avec quelle impudence je dus mentir ! comme je subis de bon cœur la pénitence qui me fut infligée ! La vieille femme revint et demanda à me vendre un petit chevreau. Je lui remis la lettre, et j’élevai la chèvre, quoiqu’elle ne vint pas directement de vous, je l’aimais à cause de vous. Ô Louise ! je vous dois peut-être de n’avoir pas un mauvais cœur ; on a tâché de dessécher le mien de bonne heure ; on a tout fait pour éteindre le germe de ma sensibilité ; mais votre image chérie, vos tendres caresses, votre bonté pour moi, avaient laissé dans ma mémoire des traces ineffaçables. Vos lettres vinrent réveiller en moi le sentiment de reconnaissance que vous y aviez laissé ; ces quatre lettres marquèrent quatre époques bien senties dans ma vie ; chacune d’elles m’inspira plus fortement la volonté d’être bonne, la haine de l’intolérance, le mépris des préjugés, et j’ose dire que chacune d’elles marqua un progrès dans mon existence morale. Louise, ma sœur, c’est vous qui réellement m’avez élevée jusqu’à ce jour.



C’était un brave homme encore vert. (Page 3.)

— Tu es un ange de candeur et de vertu, s’écria Louise ; c’est moi qui devrais être à tes genoux…

— Eh ! vite, cria la voix de Bénédict au bas de l’escalier ! Séparez-vous ! Mademoiselle de Rimbault, M. de Lansac vous cherche.