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VALENTINE.

bition et une carrière. Elle eût réveillé en lui ce principe d’énergie qui, ne pouvant servir à personne, s’était engourdi et paralysé dans son sein. Elle eût embelli la misère, ou plutôt elle l’aurait chassée ; car, pour Valentine, Bénédict ne voyait rien qui fût au-dessus de ses forces.



Ah ! c’est toi, mon garçon. (Page 21.)

Et elle lui échappait pour jamais ; Bénédict retombait dans le désespoir.

Quand il apprit que M. de Lansac était arrivé au château, que dans trois jours Valentine serait mariée, il entra dans un accès de rage si atroce qu’un instant il se crut né pour les plus grands crimes. Jamais il ne s’était arrêté sur cette pensée que Valentine pouvait appartenir à un autre homme que lui. Il s’était bien résigné à ne la posséder jamais ; mais voir ce bonheur passer aux bras d’un autre, c’est ce qu’il ne croyait pas encore. La circonstance la plus évidente, la plus inévitable, la plus prochaine de son malheur, il s’était obstiné à croire qu’elle n’arriverait point, que M. de Lansac mourrait, que Valentine mourrait plutôt elle-même au moment de contracter ces liens odieux. Bénédict ne s’en était pas vanté, dans la crainte de passer pour un fou ; mais il avait réellement compté sur quelque miracle, et, ne le voyant point s’accomplir il maudissait Dieu qui lui en avait suggéré l’espérance et qui l’abandonnait. Car l’homme rapporte tout à Dieu dans les grandes crises de sa vie ; il a toujours besoin d’y croire, soit pour le bénir de ses joies, soit pour l’accuser de ses fautes.

Mais sa fureur augmenta encore quand il eut aperçu, un jour qu’il rôdait autour du parc, Valentine, qui se promenait seule avec M. de Lansac. Le secrétaire d’ambassade était empressé, gracieux, presque triomphant. La pauvre Valentine était pâle, abattue ; mais elle avait l’air doux et résigné ; elle s’efforçait de sourire aux mielleuses paroles de son fiancé.

Cela était donc bien sûr, cet homme était là ! il allait épouser Valentine ! Bénédict cacha sa tête dans ses deux mains, et passa douze heures dans un fossé, absorbé par un désespoir stupide.

Pour elle, la pauvre jeune fille, elle subissait son sort avec une soumission passive et silencieuse. Son amour pour Bénédict avait fait des progrès si rapides qu’il avait bien fallu s’avouer le mal à elle-même ; mais entre la conscience de sa faute et la volonté de s’y abandonner, il y