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VALENTINE.

parjure ? N’avez-vous pas juré à votre amant cette nuit que vous n’appartiendriez jamais à aucun homme ?

À cette réponse foudroyante, Valentine se releva indignée, et regardant son mari de toute la hauteur de sa fierté de femme outragée :

— Que croyez-vous donc que je sois venue réclamer ici ? lui dit-elle. Vous affectez une étrange erreur, Monsieur ; mais vous ne pensez pas que je me sois mise à genoux pour solliciter une place dans votre lit ?

M. de Lansac, mortellement blessé de l’aversion hautaine de cette femme tout à l’heure si humble, mordit sa lèvre pâle et fit quelques pas pour se retirer. Valentine s’attacha à lui.

— Ainsi vous me repoussez ! lui dit-elle, vous me refusez un asile dans votre maison et la sauvegarde de votre présence autour de moi ! Si vous pouviez m’ôter votre nom, vous le feriez sans doute ! Oh ! cela est inique, Monsieur. Vous me parliez hier de nos devoirs respectifs ; comment remplissez-vous les vôtres ? Vous me voyez près de rouler dans un précipice dont j’ai horreur, et quand je vous supplie de me tendre la main, vous m’y poussez du pied. Eh bien ! que mes fautes retombent sur vous !…

— Oui, vous dites vrai, Valentine, répondit-il d’un ton goguenard en lui tournant le dos, vos fautes retomberont sur ma tête.

Il sortait, charmé de ce trait d’esprit ; elle le retint encore, et tout ce qu’une femme au désespoir peut inventer d’humble, de touchant et de pathétique, elle sut le trouver en cet instant de crise. Elle fut si éloquente et si vraie que M. de Lansac, surpris de son esprit, la regarda quelques instants d’un air qui lui fit espérer de l’avoir attendri. Mais il se dégagea doucement en lui disant :

— Tout ceci est parfait, ma chère, mais c’est souverainement ridicule. Vous êtes fort jeune, profitez d’un conseil d’ami : c’est qu’une femme ne doit jamais prendre son mari pour son confesseur ; c’est lui demander plus de vertu que sa profession n’en comporte. Pour moi, je vous trouve charmante ; mais ma vie est trop occupée pour que je puisse entreprendre de vous guérir d’une grande passion. Je n’aurais d’ailleurs jamais la fatuité d’espérer ce succès. J’ai assez fait pour vous, ce me semble, en fermant les yeux ; vous me les ouvrez de force : alors il faut que je fuie, car ma contenance vis-à-vis de vous n’est pas supportable, et nous ne pourrions nous regarder l’un l’autre sans rire.

— Rire ! Monsieur, rire ! s’écria-t-elle avec une juste colère.

— Adieu, Valentine ! reprit-il ; j’ai trop d’expérience, je vous l’avoue, pour me brûler la cervelle pour une infidélité ; mais j’ai trop de bon sens pour vouloir servir de chaperon à une jeune tête aussi exaltée que la vôtre. C’est pour cela aussi que je ne désire pas trop vous voir rompre cette liaison qui a pour vous encore toute la beauté romanesque d’un premier amour. Le second serait plus rapide, le troisième…

— Vous m’insultez, dit Valentine d’un air morne, mais Dieu me protégera. Adieu, Monsieur ; je vous remercie de cette dure leçon ; je tâcherai d’en profiter.

Ils se saluèrent, et, un quart d’heure après, Bénédict et Valentin, en se promenant sur le bord la grand’route, virent passer la chaise de poste qui emportait le noble comte et l’usurier vers Paris.

XXXV.

Valentine, épouvantée en même temps qu’offensée mortellement des injurieuses prédictions de son mari, alla dans sa chambre dévorer ses larmes et sa honte. Plus que jamais effrayée des conséquences d’un égarement que le monde punissait d’un tel mépris, Valentine, accoutumée à respecter religieusement l’opinion, prit horreur de ses fautes et de ses imprudences. Elle roula mille fois dans son esprit le projet de se soustraire aux dangers de sa situation ; elle chercha au dehors tous ses moyens de résistance, car elle n’en trouvait plus en elle-même, et la peur de succomber achevait d’énerver ses forces ; elle reprochait amèrement à sa destinée de lui avoir ôté tout secours, toute protection.

— Hélas ! disait-elle, mon mari me repousse, ma mère ne saurait me comprendre, ma sœur n’ose rien ; qui m’arrêtera sur ce versant dont la rapidité m’emporte ?

Élevée pour le monde et selon ses principes, Valentine ne trouvait nulle part en lui l’appui qu’elle avait droit d’en attendre en retour de ses sacrifices. Si elle n’eût possédé l’inestimable trésor de la foi, sans doute elle eût foulé aux pieds, dans son désespoir, tous les préceptes de sa jeunesse. Mais sa croyance religieuse soutenait et ralliait toutes ses croyances.

Elle ne se sentit pas la force, ce soir-là, de voir Bénédict ; elle ne le fit donc pas avertir du départ de son mari, et se flatta qu’il l’ignorerait. Elle écrivit un mot à Louise pour la prier de venir au pavillon à l’heure accoutumée.

Mais à peine étaient-ils ensemble que mademoiselle Beaujon dépêcha Catherine au petit parc pour avertir Valentine que sa grand’mère, sérieusement incommodée, demandait à la voir.

La vieille marquise avait pris dans la matinée une tasse de chocolat dont la digestion, trop pénible pour ses organes débilités, lui occasionnait une oppression et une fièvre violentes. Le vieux médecin, M. Faure, trouva sa situation fort dangereuse.

Valentine s’empressait à lui prodiguer ses soins, lorsque la marquise, se redressant tout à coup sur son chevet avec une netteté de prononciation et de regard qu’on n’avait pas remarquée en elle depuis longtemps, demanda à être seule avec sa petite-fille. Les personnes présentes se retirèrent aussitôt, excepté la Beaujon, qui ne pouvait supposer que cette mesure s’étendît jusqu’à elle. Mais la vieille marquise, rendue tout à coup, par une révolution miraculeuse de la fièvre, à toute la clarté de son jugement et à toute l’indépendance de sa volonté, lui ordonna impérieusement de sortir.

— Valentine, lui dit-elle quand elles furent seules, j’ai à te demander une grâce ; il y a bien longtemps que je l’implore de la Beaujon, mais elle me trouble l’esprit par ses réponses ; toi, tu me l’accorderas, je parie.

— Ô ma bonne maman ! s’écria Valentine en se mettant à genoux devant son lit, parlez, ordonnez.

— Eh bien, mon enfant, dit la marquise en se penchant vers elle et en baissant la voix, je ne voudrais pas mourir sans voir ta sœur.

Valentine se leva avec vivacité et courut à une sonnette.

— Oh ! ce sera bientôt fait, lui dit-elle joyeusement, elle n’est pas loin d’ici ; qu’elle sera heureuse, chère grand’mère ! Ses caresses vous rendront la vie et la santé !

Catherine fut chargée par Valentine d’aller chercher Louise, qui était restée au pavillon.

— Ce n’est pas tout, dit la marquise, je voudrais aussi voir son fils.

Précisément, Valentin, envoyé par Bénédict, qui était inquiet de Valentine et n’osait se présenter devant elle sans son ordre, venait d’arriver au petit parc lorsque Catherine s’y rendit. Au bout de quelques minutes, Louise et son fils furent introduits dans la chambre de leur aïeule.

Louise, abandonnée avec un cruel égoïsme par cette femme, avait réussi à l’oublier, mais quand elle la retrouva sur son lit de mort, hâve et décrépite ; quand elle revit les traits de celle dont la tendresse indulgente avait veillé bien ou mal sur ses premières années d’innocence et de bonheur, elle sentit se réveiller cet inextinguible sentiment de respect et d’amour qui s’attache aux premières affections de la vie. Elle s’élança dans les bras de sa grand’mère, et ses larmes, dont elle croyait la source tarie pour elle, coulèrent avec effusion sur le sein qui l’avait bercée.

La vieille femme retrouva aussi de vifs élans de sensibilité à la vue de cette Louise, jadis si vive et si riche de jeunesse, de passion et de santé, maintenant si pâle, si frêle et si triste. Elle s’exprima avec une ardeur d’af-