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LA MARE AU DIABLE

pour l’ouvrage de ma ferme… Et qu’il ne soit plus question de ça… Je repasserai par chez vous un de ces jours ; et si tu n’as rien dit, je te donnerai encore quelque chose… Et puis, si tu es plus raisonnable, tu n’as qu’à parler : je te ramènerai chez moi, ou bien, j’irai causer avec toi à la brune dans les prés… Quel cadeau veux-tu que je te porte ?



Allons, Catherine, s’écria-t-il en entrant dans la maison, en voilà encore un de plus (Page 21.)

— Voilà, monsieur, le cadeau que je vous fais, moi ! répondit à voix haute la petite Marie, en lui jetant son louis d’or au visage, et même assez rudement. Je vous remercie beaucoup, et vous prie, quand vous repasserez par chez nous, de me faire avertir : tous les garçons de mon endroit iront vous recevoir, parce que chez nous, on aime fort les bourgeois qui veulent en conter aux pauvres filles ! Vous verrez ça, on vous attendra.

— Vous êtes une menteuse et une sotte langue ! dit le fermier courroucé, en levant son bâton d’un air de menace. Vous voudriez faire croire ce qui n’est point ; mais vous ne me tirerez pas d’argent : on connaît vos pareilles !

Marie s’était reculée effrayée ; mais Germain s’était élancé à la bride du cheval du fermier, et, la secouant avec force :

— C’est entendu, maintenant ! dit-il, et nous voyons assez de quoi il retourne… À terre ! mon homme ! à terre ! et causons tous les deux !

Le fermier ne se souciait pas d’engager la partie : il éperonna son cheval pour se dégager, et voulut frapper de son bâton les mains du laboureur pour lui faire lâcher prise ; mais Germain esquiva le coup, et, lui prenant la jambe, il le désarçonna et le fit tomber sur la fougère, où il le terrassa, quoique le fermier se fût remis sur ses pieds et se défendît vigoureusement. Quand il le tint sous lui :

— Homme de peu de cœur ! lui dit Germain, je pourrais te rouer de coups si je voulais ! Mais je n’aime pas à faire du mal, et d’ailleurs aucune correction n’amenderait ta conscience… Cependant, tu ne bougeras pas d’ici que tu n’aies demandé pardon, à genoux, à cette jeune fille.

Le fermier, qui connaissait ces sortes d’affaires, voulut prendre la chose en plaisanterie. Il prétendit que son péché n’était pas si grave, puisqu’il ne consistait qu’en paroles, et qu’il voulait bien demander pardon, à condition qu’il embrasserait la fille, que l’on irait boire une pinte de vin au plus prochain cabaret, et qu’on se quitterait bons amis.