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LA MARE AU DIABLE



À terre, mon homme, à terre, et causons tous les deux. (Page 24.)

— Tu me fais peine ! lui répondit Germain en lui poussant la face contre terre, et j’ai hâte de ne plus voir ta méchante mine. Tiens, rougis si tu peux, et tâche de prendre le chemin des affronteux[1] quand tu passeras par chez nous.

Il ramassa le bâton de houx du fermier, le brisa sur son genou pour lui montrer la force de ses poignets, et en jeta les morceaux au loin avec mépris.

Puis, prenant d’une main son fils, et de l’autre la petite Marie, il s’éloigna tout tremblant d’indignation.


XV.

LE RETOUR À LA FERME.

Au bout d’un quart d’heure ils avaient franchi les brandes. Ils trottaient sur la grand’route, et la Grise hennissait à chaque objet de sa connaissance. Petit Pierre racontait à son père ce qu’il avait pu comprendre dans ce qui s’était passé.

— Quand nous sommes arrivés, dit-il, cet homme-là est venu pour parler à ma Marie dans la bergerie où nous avions été tout de suite, pour voir les beaux moutons. Moi, j’étais monté dans la crèche pour jouer, et cet homme-là ne me voyait pas. Alors il a dit bonjour à ma Marie, et il l’a embrassée.

— Tu t’es laissé embrasser, Marie ? dit Germain tout tremblant de colère.

— J’ai cru que c’était une honnêteté, une coutume de l’endroit aux arrivées, comme, chez vous, la grand’mère embrasse les jeunes filles qui entrent à son service, pour leur faire voir qu’elle les adopte et qu’elle leur sera comme une mère.

— Et puis alors, reprit petit Pierre, qui était fier d’avoir à raconter une aventure, cet homme-là t’a dit quelque chose de vilain, quelque chose que tu m’as dit de ne jamais répéter et de ne pas m’en souvenir : aussi je l’ai oublié bien vite. Cependant, si mon père veut que je lui dise ce que c’était…

  1. C’est le chemin qui détourne de la rue principale à l’entrée des villages et les côtoye à l’extérieur. On suppose que les gens qui craignent de recevoir quelque affront mérité le prennent pour éviter d’être vus.