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JEANNE.



C’était Jeanne immobile, pâle comme une morte. (Page 89.)

Ils gagnèrent le fond du ravin en suivant la direction de la tranchée, cherchant toujours, mais n’osant plus échanger leurs réflexions sinistres.

Au fond de ce ravin étroit coule un filet d’eau cristalline qui murmure entre les rochers. La source est là qui sort de terre entre de gros blocs de pierre blanche, et qui se verse au dehors avec un petit bruit de pluie continue. Guillaume courut vers ces bancs de pierre, et fit un cri de joie en voyant clairement une femme assise au bord de la source. La lune, dégagée des nuages, donnait en plein sur elle. C’était Jeanne immobile, pâle comme une morte, mais le sourire sur les lèvres et les mains croisées l’une sur l’autre dans une attitude rêveuse et tranquille. Finaud était couché à ses pieds.

— Jeanne ! s’écria Guillaume, en tombant à genoux auprès d’elle, tu es sauvée ! Dieu soit mille fois béni !

— Oh ! ça n’est rien, rien du tout, mon parrain, dit Jeanne en se laissant prendre et baiser les mains. Bonjour, monsieur Arthur ? Vous voilà donc revenu de votre voyage ? Ça va bien, merci.

— Jeanne, Jeanne, d’où viens-tu ? Où étais-tu cachée ? Tu n’es donc pas tombée ? dit Guillaume.

— Tombée ? Oui, m’est avis que je suis tombée un peu fort… C’est la jument à M. Marsillat… Non… je ne sais plus, mon parrain ; j’ai dormi par terre un peu de temps ; mais mon chien m’a tant tiraillée qu’il m’a réveillée. Et puis je me suis levée ; je n’ai rien de cassé, car j’ai marché un bout de chemin. Mais je suis vannée de fatigue, et je me suis assise là pour me reposer un brin. Je ne vois plus mes vaches. Claudie les aura fait rentrer. Allons, mon parrain, ça doit être l’heure de rentrer aussi à la maison.

— Oui, à la maison ! Bonne Jeanne, ma chère Jeanne, ô ma sœur chérie !

— Votre sœur ? Elle est donc là, cette chère mignonne ? Je ne la vois pas ! Dame ! Je suis tout étourdie, mon parrain. Je ne sais pas d’où je sors.

— Guillaume, dit M. Harley à voix basse, ne la faites pas parler, ne lui donnez pas d’émotion. Elle s’est jetée par la fenêtre, cela est certain… Et Arthur, se retournant, regarda en frémissant l’élévation de cette fenêtre que l’éloignement faisait paraître plus effrayante encore. Quelle chute ! dit-il, et quel miracle Dieu a daigné faire pour nous ! Ceci n’aura pas de suites, j’espère : Mais vous