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MAUPRAT.

athées pour nous décourager ainsi ? Allons voir Patience, il nous dira quelque sentence qui nous rassurera ; il est le vieux oracle qui résout toutes choses sans en savoir aucune. «



Un jour qu’elle avait pris le Tasse. (Page 30.)

Ils s’éloignèrent, et je demeurai consterné.

Oh ! combien cette nuit fut différente de la précédente ! Quel nouveau pas je venais de faire dans la vie, non plus sur le sentier fleuri, mais sur le roc aride ! Maintenant je connaissais tout l’odieux réel de mon rôle, et je venais de lire jusqu’au fond du cœur d’Edmée la crainte et le dégoût que je lui inspirais. Rien ne pouvait calmer ma douleur, car rien ne pouvait plus exciter ma colère. Elle n’aimait point M. de La Marche, elle ne se jouait ni de lui ni de moi ; elle n’aimait aucun de nous ; et comment avais-je pu croire que cette pitié généreuse envers moi, ce dévouement sublime à la foi jurée, fussent de l’amour ? Comment, aux heures où cette présomptueuse chimère m’abandonnait, pouvais-je croire qu’elle eût besoin, pour résister à ma passion, d’avoir de l’amour pour un autre ? Enfin, je n’avais donc plus de ressource contre mes propres fureurs ! Je ne pouvais en obtenir autre chose que la fuite ou la mort d’Emée ! Sa mort ! À cette idée mon sang se glaçait dans mes veines, mon cœur se serrait, et je sentais tous les aiguillons du repentir le traverser. Cette douloureuse soirée fut pour moi le plus énergique appel de la Providence. Je compris enfin ces lois de la pudeur et de la liberté sainte que mon ignorance avait outragées et blasphémées jusque-là. Elles m’étonnaient plus que jamais, mais je les voyais ; elles étaient prouvées par leur évidence. L’âme forte et sincère d’Edmée était devant moi comme la pierre du Sinaï, où le doigt de Dieu venait de tracer la vérité immuable. Sa vertu n’était pas feinte, son couteau était aiguisé et toujours prêt à laver la souillure de mon amour ! Je fus si effrayé du danger que j’avais couru de la voir expirer dans mes bras, si consterné de l’outrage que je lui avais fait en espérant vaincre sa résistance, que je cherchai tous les moyens extrêmes de réparer mes torts et de lui rendre le repos.

Le seul qui parut au-dessus de mes forces fut de m’éloigner ; car en même temps que le sentiment de l’estime et du respect se révélait à moi, mon amour, changeant pour ainsi dire de nature, grandissait dans mon âme et s’emparait de mon être tout entier. Edmée m’apparaissait sous un nouvel aspect. Ce n’était plus cette belle fille dont