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LEONE LEONI.



Il était jusqu’aux genoux dans un trou. (Page 14.)

— Sans doute, ajouta celui qu’on appelait le marquis, nous sommes tous cousins.

Le lendemain, au lieu de deux convives, il y en eut quatre ou cinq différents à chaque repas. En moins de huit jours, notre maison fut inondée d’amis intimes. Ces assidus me dévorèrent de bien douces heures que j’aurais pu passer avec Leoni, et qu’il fallait partager avec eux tous. Mais Leoni, après un long exil, semblait heureux de revoir ses amis et d’égayer sa vie : je ne pouvais former un désir contraire au sien, et j’étais heureuse de le voir s’amuser. Il est certain que la société de ces hommes était charmante. Ils étaient tous jeunes et élégants, gais ou spirituels, aimables ou amusants ; ils avaient d’excellentes manières, et des talents pour la plupart. Toutes les matinées étaient employées à faire de la musique ; dans l’après-midi nous nous promenions sur l’eau ; après le dîner nous allions au théâtre, et en rentrant on soupait et on jouait. Je n’aimais pas beaucoup à être témoin de ce dernier divertissement, où des sommes immenses passaient chaque soir de main en main. Leoni m’avait permis de me retirer après le souper, et je n’y manquais pas. Peu à peu le nombre de nos connaissances augmenta tellement, que j’en ressentis de l’ennui et de la fatigue ; mais je n’en exprimai rien. Leoni semblait toujours enchanté de cette vie dissipée. Tout ce qu’il y avait de dandys de toutes nations à Venise se donna rendez-vous chez nous pour boire, pour jouer et pour faire de la musique. Les meilleurs chanteurs des théâtres venaient souvent mêler leurs voix à nos instruments et à la voix de Leoni, qui n’était ni moins belle ni moins habile que la leur. Malgré le charme de cette société, je sentais de plus en plus le besoin du repos. Il est vrai que nous avions encore de temps en temps quelques bonnes heures de tête-à-tête ; les dandys ne venaient pas tous les jours : mais les habitués se composaient d’une douzaine de personnes de fondation à notre table. Leoni les aimait tant, que je ne pouvais me défendre d’avoir aussi de l’amitié pour elles. C’étaient elles qui animaient tout le reste par leur suprématie en tout sur les autres. Ces hommes étaient vraiment remarquables, et semblaient en quelque sorte des reflets de Leoni. Ils avaient entre eux cette espèce d’air de famille, cette conformité d’idées et de langage qui m’avaient frappée dès le premier jour ; c’était un je ne sais quoi de subtil et de recherché que