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LEONE LEONI.

n’avaient pas même les plus distingués parmi tous les autres. Leur regard était plus pénétrant, leurs réponses plus promptes, leur aplomb plus seigneurial, leur prodigalité de meilleur goût. Ils avaient chacun une autorité morale sur une partie de ces nouveaux venus ; ils leur servaient de modèle et de guide dans les petites choses d’abord, et plus tard dans les grandes. Leoni était l’âme de tout ce corps, le chef suprême qui imposait à cette brillante coterie masculine la mode, le ton, le plaisir et la dépense.



Parbleu, ma chère petite, me répondit… (Page 23.)

Cette espèce d’empire lui plaisait, et je ne m’en étonnais pas ; je l’avais vu régner plus ouvertement encore à Bruxelles, et j’avais partagé son orgueil et sa gloire ; mais le bonheur du chalet m’avait initiée à des joies plus intimes et plus pures. Je le regrettais, et ne pouvais m’empêcher de le dire. — Et moi aussi, me disait-il, je le regrette, ce temps de délices, supérieur à toutes les fumées du monde, mais Dieu n’a pas voulu changer pour nous le cours des saisons. Il n’y a pas plus d’éternel bonheur que de printemps perpétuel. C’est une loi de la nature à laquelle nous ne pouvions nous soustraire. Sois sûre que tout est arrangé pour le mieux dans ce monde mauvais. Le cœur de l’homme n’a pas plus de vigueur que les biens de la vie n’ont de durée : soumettons-nous, plions. Les fleurs se courbent, se flétrissent et renaissent tous les ans ; l’âme humaine peut se renouveler comme une fleur, quand elle connaît ses forces et qu’elle ne s’épanouit pas jusqu’à se briser. Six mois de félicité sans mélange, c’était immense, ma chère ; nous serions morts de trop de bonheur si cela eût continué, ou nous en aurions abusé. La destinée nous commande de redescendre de nos cimes éthérées et de venir respirer un air moins pur dans les villes. Acceptons cette nécessité, et croyons qu’elle nous est bonne. Quand le beau temps reviendra, nous retournerons à nos montagnes, nous serons avides de retrouver tous les biens dont nous aurons été sevrés ici ; nous sentirons mieux le prix de notre calme intimité ; et cette saison d’amour et de délices, que les souffrances de l’hiver nous eussent gâtée, reviendra plus belle encore que la saison dernière.

— Oh ! oui, lui disais-je en l’embrassant, nous retournerons en Suisse ! Oh ! que tu es bon de le vouloir et de me le promettre !… Mais, dis-moi, Leoni, ne pourrions-nous vivre ici plus simplement et plus ensemble ?