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JEAN ZISKA.

tous les partis, peut-être dans le secret de son âme, toutes ses allégories apocalyptiques avaient-elles leur sens dans des événements plus récents. Peut-être ces victimes qu’on chasse et qu’on précipite du haut des montagnes sont-elles des Taborites immolés par les mineurs de Cuttemberg[1]. Un personnage empanaché et d’une grande taille se dessine dans le lointain, assistant aux supplices comme Hérode ou Pilate. C’est peut-être Sigismond ou Rosemberg. Ailleurs, on voit des prélats et des monarques qui font torturer, brûler et aveugler des martyrs, peut-être Jean Huss, Jérôme de Prague, Jean de Crasa, Martin Loquis et tant d’autres. Je sais qu’on donne à ces planches célèbres des noms tirés de l’histoire de la primitive Église, de l’ancien martyrologe et de l’Apocalypse de saint Jean ; mais de saint Jean aux persécutions des hérétiques du quinzième siècle, il y a plus près dans le cerveau d’un de ces hérétiques joannites que de l’Apocalypse aux martyrs de Dioclétien. Il est certain que les hérésies du moyen âge et de la renaissance ont expliqué admirablement les mystérieuses prophéties de Jean, et qu’aucune autre application satisfaisante ne peut se trouver hors de là : toute l’émotion, toute la poésie de ces révolutions religieuses roule sur l’Apocalypse ; toutes les prédications en furent inspirées, tous les symboles en furent mis au jour et célébrés avec, enthousiasme.

« La mort de Ziska mit une grande désolation dans son armée. On n’entendait que lamentations et murmures contre la fortune qui avait condamné à la mort un homme immortel. Les Taborites, après avoir mis tout à feu et à sang dans les lieux où il était mort comme pour sacrifier à ses mânes, et lui avoir rendu les honneurs funèbres, se partagèrent en trois bandes. » La première retint le nom de Taborite, et choisit pour chef Procope le Grand, que Ziska avait institué l’héritier de ses œuvres ; la deuxième garda le nom d’Orébite, et mit à sa tête Procope le Petit, surnommé ainsi seulement pour le distinguer par l’antithèse que présentait sa stature, car ce fut aussi un grand guerrier ; la troisième bande prit le nom d’Orpheline, pour désigner son deuil, et nomma plusieurs chefs pour témoigner qu’elle n’en trouvait pas un seul en particulier qui fût digne de succéder à Ziska. Ces Orphelins se tinrent toujours dans leurs chariots, dont ils se faisaient un camp, ou plutôt une ville portative. Ils s’imposèrent la loi de ne jamais demeurer ailleurs, et de n’entrer dans les villes que pour les besoins de la guerre et l’approvisionnement de l’armée. « Ce partage n’empêcha pas que les trois corps ne s’unissent étroitement quand il s’agissait de la cause commune. Ils appelaient la Bohême la terre de promission, et les Allemands, soit Philistins, soit Iduméens, soit Moabites, soit Amalécites, distinguant par ces noms ceux des diverses provinces. Les Orphelins et les Orébites tirèrent du côté de la Lusace et de la Silésie, brûlant et massacrant tout. Procope le Rasé, à la tête des Taborites et de ceux de Prague, marcha vers l’Autriche par la Moravie. » Nous l’y suivrons ; car c’est sous les Procope que les Taborites firent les plus grandes choses, et rendirent la Bohême la terreur des nations environnantes, de tout le corps germanique et de l’église romaine. C’est sous leur conduite que les Bohémiens furent regardés, non plus comme des hommes, mais comme des démons et des fantômes invincibles. « De sorte qu’il ne s’agissait plus d’anathématiser, mais d’exorciser cet antre diabolique, cette demeure de Satan. » Mais avant de nous engager dans cette nouvelle campagne, nous avons à vous raconter, Mesdames, les aventures de la comtesse de Rudolstadt.


FIN DE JEAN ZISKA
  1. Ce sont peut-être aussi des Taborites qui se vengent des catholiques et sacrifient aux mânes de leurs proches. Il n’y a pas jusqu’à la longue framée bohémienne qui ne se retrouve dans ces compositions.