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GABRIEL.

FAUSTINA

Ah ! ah ! Eufémia, sans doute ?

ASTOLPHE.

Fi donc !

FAUSTINA

Célimène ?

ASTOLPHE.

Ah bah !

FAUSTINA

Francesca ?

ASTOLPHE.

Grand merci !

FAUSTINA

Mais qui donc ? Je ne la connais pas.

ASTOLPHE.

Personne ne la connaît encore ici. C’est une ingénue qui arrive de son village. Belle comme les amours, timide comme une biche, sage et fidèle comme…

FAUSTINA

Comme toi ?

ASTOLPHE.

Oui, comme moi ; et c’est beaucoup dire, car je suis à elle pour la vie.

FAUSTINA

Je t’en félicite… Et nous la verrons ce soir, j’espère ?

ASTOLPHE.

Je ne crois pas… Peut-être cependant. (À part.) Oh ! la bonne idée ! (Haut.) Oui, j’ai envie de la mener chez Ludovic. Ce brave artiste me saura gré de lui montrer ce chef-d’œuvre de la nature, et il voudra faire tout de suite sa statue… Mais je n’y consentirai pas ; je suis jaloux de mon trésor.

FAUSTINA

Prends garde que celui-là ne s’en aille comme ton argent s’en est allé. En ce cas, adieu ; je venais te proposer d’être mon cavalier pour ce soir. C’est un mauvais tour que je voulais jouer à Antonio. Mais puisque tu as une dame, je vais trouver Menrique, qui fait des folies pour moi.

ASTOLPHE, un peu ému.

Menrique ? (Se remettant aussitôt.) Tu ne saurais mieux faire. À revoir, donc !

FAUSTINA, à part, en sortant.

Bah ! il est plus ruiné que jamais. Il aura engagé le dernier morceau de son patrimoine pour sa nouvelle passion. Dans huit jours, le seigneur sera en prison et la fille dans la rue.

(Elle sort.)

Scène II.


ASTOLPHE, seul.

Avec Menrique ! à qui j’ai eu la sottise d’avouer que j’avais pris cette fille presque au sérieux… Je n’aurais qu’un mot à dire pour la retenir… (Il va vers la porte, et revient.) Oh ! non, pas de lâcheté. Gabriel me mépriserait, et il aurait raison. Bon Gabriel ! le charmant caractère ! l’aimable compagnon ! comme il cède à tous mes caprices, lui qui n’en a aucun, lui si sage, si pur ! Il me voit sans humeur et sans pédanterie continuer cette folle vie. Il ne me fait jamais de reproche, et je n’ai qu’à manifester une fantaisie pour qu’aussitôt il aille au-devant de mes désirs en me procurant argent, équipage, maîtresse, luxe de toute espèce. Je voudrais du moins qu’il prit sa part de mes plaisirs ; mais je crains bien que tout cela ne l’amuse pas, et que l’enjouement qu’il me montre ne soit l’héroïsme de l’amitié. Oh ! si j’en étais sûr, je me corrigerais sur l’heure ; j’achèterais des livres, je me plongerais dans les auteurs classiques ; j’irais à confesse ; je ne sais pas ce que je ne ferais pas pour lui !… Mais il est bien longtemps à sa toilette. (Il va frapper à la porte de l’appartement de Gabriel.) Eh bien ! ami, es-tu prêt ? Pas encore. Laisse-moi entrer, je suis seul. Non ? Allons ! comme tu voudras. (Il revient). Il s’enferme vraiment comme une demoiselle. Il veut que je le voie dans tout l’éclat de son costume. Je suis sûr qu’il sera charmant en fille ; la Faustina ne l’a pas vu, elle y sera prise, et toutes en crèveront de jalousie. Il a eu pourtant bien de la peine à se décider à cette folie. Cher Gabriel ! c’est moi qui suis un enfant, et lui un homme, un sage, plein d’indulgence et de dévouement ! (Il se frotte les mains.) Ah ! je vais me divertir aux dépens de la Faustina ! Mais quelle impudente créature ! Antonio la semaine dernière, Menrique aujourd’hui ! Comme les pas de la femme sont rapides dans la carrière du vice ! Nous autres, nous savons, nous pouvons toujours nous arrêter ; mais elles, rien ne les retient sur cette pente fatale, et quand nous croyons la leur faire remonter, nous ne faisons que hâter leur chute au fond de l’abîme. Mes compagnons ont raison ; moi qui passe pour le plus mauvais sujet de la ville, je suis le moins roué de tous. J’ai des instincts de sentimentalité, je rêve des amours romanesques, et, quand je presse dans mes bras une vile créature, je voudrais m’imaginer que je l’aime. Antonio a dû bien se moquer de moi avec cette misérable folle ! J’aurais dû la retenir ce soir, et m’en aller avec Gabriel déguisé et avec elle, en chantant le couplet : Deux femmes valent mieux qu’une. J’aurais donné du dépit à Antonio par Faustina, à Faustina par Gabriel… Allons ! il est peut-être temps encore… Elle a menti, elle n’aurait pas osé aller trouver ainsi Menrique… Elle n’est pas si effrontée ! En attendant que Gabriel ait fini de se déguiser, je puis courir chez elle ; c’est tout près d’ici. (Il s’enveloppe de son manteau.) Une femme peut-elle descendre assez bas pour n’être plus pour nous qu’un objet dont notre vanité fait parade comme d’un meuble ou d’un habit !

(Il sort.)

Scène III.


GABRIEL, en habit de femme très-élégant, sort lentement de sa chambre ; PÉRINNE le suit d’un air curieux et avide.
GABRIEL.

C’est assez, dame Périnne, je n’ai plus besoin de vous. Voici pour la peine que vous avez prise.

(Il lui donne de l’argent.)
PÉRINNE.

Monseigneur, c’est trop de bonté. Voire Seigneurie plaira à toutes les femmes, jeunes et vieilles, riches et pauvres ; car, outre que le ciel a tout fait pour elle, elle est d’une magnificence…

GABRIEL.

C’est bien, c’est bien, dame Périnne. Bonsoir !

PÉRINNE, mettant l’argent dans sa poche.

C’est vraiment trop ! Votre Altesse ne m’a pas permis de l’aider… je n’ai fait qu’attacher la ceinture et les bracelets. Si j’osais donner un dernier conseil à Votre Excellence, je lui dirais que son collier de dentelle monte trop haut ; elle a le cou blanc et rond comme celui d’une femme, les épaules feraient bon effet sous ce voile transparent.

(Elle veut arranger le fichu, Gabriel la repousse.)
GABRIEL.

Assez, vous dis-je ; il ne faut pas qu’un divertissement devienne une occupation si sérieuse. Je me trouve bien ainsi.

PÉRINNE.

Je le crois bien ! Je connais plus d’une grande dame qui voudrait avoir la fine ceinture et la peau d’albâtre de Votre Altesse !

(Gabriel fait un mouvement d’impatience. Périnne fait de grandes révérences ridicules. À part, en se retirant.)

Je n’y comprends rien. Il est fait au tour ; mais quelle pudeur farouche ! Ce doit être un huguenot !