Et de vous toutes !
Excepté de moi. Je l’ai reconnu tout de suite.
Tu ne m’en veux pas trop ?
Allons donc ! je te dois mille louanges. Tu as joué ton rôle comme un comédien de profession. Othello ne fut jamais mieux rendu.
Mais où est donc passé ce beau garçon ? À présent nous pourrons bien l’embrasser sans façon sur les deux joues.
Il a été se déshabiller, et je ne crois pas qu’il revienne ; mais demain je vous invite tous à déjeuner chez moi avec lui.
Nous en sommes ?
Non, au diable les femmes !
Scène IX.
Ah ! mille pardons !… Madame demande le seigneur Astolphe. Il n’est pas rentré… C’est ici la chambre du seigneur Gabriel.
Tu ne me reconnais donc pas, vieux Marc ?
Bon Dieu ! que vois-je ?… En femme, monseigneur, en femme !
Sois tranquille, mon vieux, ce n’est pas pour longtemps.
En femme ! J’en suis tout consterné ! Que dirait son altesse ?…
Ah ! pour le coup, son altesse trouverait que je ne me conduis pas en homme. Allons, va te coucher, Marc. Tu me retrouveras demain plus garçon que jamais, je t’en réponds ! Bonsoir, mon brave.
Ôtons vite la robe de Déjanire, elle me brûle la poitrine, elle m’enivre, elle m’oppresse ! Oh ! quel trouble, quel égarement, mon Dieu !… Mais comment m’y prendrai-je ?… Tous ces lacets, toutes ces épingles… (Il déchire son fichu de dentelle et l’arrache par lambeaux.) Astolphe, Astolphe, ton trouble va cesser avec ton illusion. Quand j’aurai quitté ce déguisement pour reprendre l’autre, tu seras désenchanté. Mais moi, retrouverai-je sous mon pourpoint le calme de mon sang et l’innocence de mes pensées ?… Sa dernière étreinte me dévorait ! Ah ! je ne puis défaire ce corsagel Hâtons-nous !… (Il prend son poignard sur la table et coupe les lacets.) Maintenant, où ce vieux Marc a-t-il caché mon pourpoint ? Mon Dieu ! j’entends monter l’escalier, je crois ! (Il court fermer la porte au verrou.) Il a emporté mon manteau et le voile ?… Vieux dormeur ! Il ne savait ce qu’il faisait… Et les clefs de mes coffres sont restées dans sa poche, je gage… Rien ! pas un vêtement, et Astolphe qui va vouloir causer avec moi en rentrant… Si je ne lui ouvre pas, j’éveillerai ses soupçons ! Maudite folie ! Ah !… avant qu’il entre ici, je trouverai un manteau dans sa chambre…
(Il prend un flambeau, ouvre une petite porte de côté et entre dans la chambre voisine. Un instant de silence, puis un cri.)
Gabriel, tu es une femme ! Ô mon Dieu !
(On entend tomber le flambeau. La lumière disparaît. Gabriel rentre éperdu. Astolphe le suit dans les ténèbres et s’arrête au seuil de la porte.)
Ne crains rien, ne crains rien ! Maintenant je ne franchirai plus cette porte sans ta permission. (Tombant à genoux.) mon Dieu, je vous remercie !
TROISIÈME PARTIE.
Scène PREMIÈRE.
(Settimia et Barbe travaillent près d’une fenêtre ; Gabrielle brode au métier, près de l’autre fenêtre ; frère Côme va de l’une à l’autre, en se traînant lourdement, et s’arrêtant toujours près de Gabrielle)
Eh bien, signora, irez-vous encore à la chasse demain ?
Pourquoi pas, frère Côme, si mon mari le trouve bon ?
Oh ! vous répondez toujours de manière à couper court à toute conversation !
C’est que je n’aime guère les paroles inutiles.
Eh bien, vous ne me rebuterez pas si aisément, et je trouverai matière à une réflexion sur votre réponse.
C’est qu’à la place d’Astolphe je ne vous verrais pas volontiers galoper, sur un cheval ardent, parmi les marais et les broussailles.
Oui ! si j’avais le bonheur de posséder une femme jeune et belle, je ne voudrais pas qu’elle s’exposât ainsi…
Vous êtes déjà lasse de notre compagnie ?
J’ai aperçu Astolphe dans l’allée de marronniers ; il m’a fait signe, et je vais le rejoindre.
Vous accompagnerai-je jusque là ?
Je veux aller seule.
Vous l’avez entendue ? Vous voyez comme elle me reçoit ? Il faudra, Madame, que votre seigneurie me dispense de travailler à l’œuvre de son salut : je suis découragé de ses rebuffades : c’est un petit esprit fort, rempli d’orgueil, je vous l’ai toujours dit.
Votre devoir, mon père, est de ne point vous décourager quand il s’agit de ramener une âme égarée ; je n’ai pas besoin de vous le dire.
J’en étais sûre ! pas un point depuis hier ! Vous croyez qu’elle travaille ? elle ne fait que casser des fils, perdre des aiguilles et gaspiller de la soie. Voyez comme ses écheveaux sont embrouillés !