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GABRIEL.

GABRIELLE, levant la main vers le ciel avec véhémence.

Oh ! mon Dieu ! grand Dieu ! faites que je ne me lasse pas de tout ceci !

(Elle sort, Astolphe la suit et l’enferme dans sa chambre, dont il met la clef dans sa poche.)

Scène V.


MARC, ASTOLPHE.
MARC.

Seigneur Astolphe, le seigneur Antonio demande à vous voir. J’ai eu beau lui dire que vous n’étiez pas ici, que vous n’y étiez jamais venu, que j’avais quitté le service de mon maître… Quels mensonges ne lui ai-je pas débités effrontément !… Il a soutenu qu’il vous avait aperçu dans le parc, que pendant une heure il avait tourné autour des fossés pour trouver le moyen d’entrer ; qu’enfin il était venu chez vous, et qu’il n’en sortirait pas sans vous voir.

ASTOLPHE.

Je vais à sa rencontre ; toi, range ce salon, fais-en disparaître tout ce qui appartient à ta maîtresse, et tiens-toi là jusqu’à ce que je t’appelle ! (À part.) Allons ! du courage ! je saurai feindre ; mais, si je découvre ce que je crains d’apprendre, malheur à toi, Antonio ! malheur à nous deux, Gabrielle !

(Il sort.)

Scène VI.


MARC.

Qu’a-t-il donc ? Comme il est agité ! Ah ! ma pauvre maîtresse n’est point heureuse !

GABRIELLE, frappant derrière la porte.

Marc ! ouvre-moi ! vite ! brise cette porte. Je veux sortir.

MARC.

Mon Dieu ! qui a donc enfermé votre seigneurie ? Heureusement j’ai la double clef dans ma poche…

(Il ouvre.)
GABRIELLE, avec un manteau et un chapeau d’homme.

Tiens ! prends cette valise, cours seller mon cheval et le tien. Je veux partir d’ici à l’instant même.

MARC.

Oui, vous ferez bien ! Le seigneur Astolphe est un ingrat, il ne songe qu’à votre fortune… Oser vous enfermer !… Oh ! quoique je sois bien fatigué, je vous reconduirai avec joie au château de Bramante.

GABRIELLE.

Tais-toi, Marc, pas un mot contre Astolphe ; je ne vais pas à Bramante. Obéis-moi, si tu m’aimes ; cours préparer les chevaux.

MARC.

Le mien est encore sellé, et le vôtre l’est déjà. Ne deviez-vous pas vous promener dans le parc aujourd’hui ? Il n’y a plus qu’à leur passer la bride.

GABRIELLE.

Cours donc ! (Marc sort.) Vous savez, mon Dieu ! que je n’agis point ainsi par ressentiment, et que mon cœur a déjà pardonné ; mais, à tout prix, je veux sauver Astolphe de cette maladie furieuse. Je tenterai tous les moyens pour faire triompher l’amour de la jalousie. Tous les remèdes déjà tentés se changeraient en poison : une leçon violente, inattendue, le fera peut-être réfléchir. Plus l’esclave plie, et plus le joug se fait pesant ; plus l’homme fait l’emploi d’une force injuste, plus l’injustice lui devient nécessaire ! Il faut qu’il apprenne l’effet de la tyrannie sur les âmes fières, et qu’il ne pense pas qu’il est si facile d’abuser d’un noble amour ! Le voici qui monte l’escalier avec Antonio. Adieu, Astolphe ! puissions-nous nous retrouver dans des jours meilleurs ! Tu pleureras durant cette nuit solitaire ! Puisse ton bon ange murmurer à ton oreille que je t’aime toujours !

(Elle referme la porte de sa chambre et en retire la clef ; puis elle sort par une des portes du salon, pendant qu’Astolphe entre par l’autre suivi d’Antonio.)


CINQUIÈME PARTIE.

À Rome, derrière le Colisée. Il commence à faire nuit.

Scène PREMIÈRE.


GABRIEL, en homme.
(Costume noir élégant et sévère, l’épée au côté. Il tient une lettre ouverte.)

Le pape m’accorde enfin cette audience, et en secret, comme je la lui ai demandée ! Mon Dieu ! protége-moi, et fais qu’Astolphe du moins soit satisfait de son sort ! Je t’abandonne le mien, ô Providence, destinée mystérieuse ! (Six heures sonnent à une église.) Voici l’heure du rendez-vous avec le saint-père. Ô Dieu ! pardonne-moi cette dernière tromperie. Tu connais la pureté de mes intentions. Ma vie est une vie de mensonge ; mais ce n’est pas moi qui l’ai faite ainsi, et mon cœur chérit la vérité !…

(Il agrafe son manteau, enfonce son chapeau sur ses yeux, et se dirige vers le Colisée. Antonio, qui vient d’en sortir, lui barre le passage.)


Scène II.


GABRIEL, ANTONIO.
ANTONIO, masqué.

Il y a assez longtemps que je cours après vous, que je vous cherche et que je vous guette. Je vous tiens enfin ; cette fois, vous ne m’échapperez pas.

(Gabriel veut passer outre ; Antonio l’arrête par le bras.)
GABRIEL, se dégageant.

Laissez-moi, monsieur, je ne suis pas des vôtres.

ANTONIO, se démasquant.

Je suis Antonio, votre serviteur et votre ami. J’ai à vous parler ; veuillez m’entendre.

GABRIEL.

Cela m’est tout à fait impossible. Une affaire pressante me réclame. Je vous souhaite le bonsoir.

(Il veut continuer ; Antonio l’arrête encore.)
ANTONIO.

Vous ne me quitterez pas sans me donner un rendez-vous et sans m’apprendre votre demeure. J’ai eu l’honneur de vous dire que je voulais vous parler en particulier.

GABRIEL.

Arrivé depuis une heure à Rome, j’en repars à l’instant même. Adieu.

ANTONIO.

Arrivé à Rome depuis trois mois, vous ne repartirez pas sans m’avoir entendu.

GABRIEL.

Veuillez m’excuser ; nous n’avons rien de particulier à nous dire, et je vous répète que je suis pressé de vous quitter.

ANTONIO.

J’ai à vous parler d’Astolphe. Vous m’entendrez.

GABRIEL.

Eh bien, dans un autre moment. Cela ne se peut aujourd’hui.

ANTONIO.

Enseignez-moi donc votre demeure.

GABRIEL.

Je ne le puis.