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CONSUELO.

avec lui. La vie de ce noble jeune homme eût-elle dépendu d’un mensonge, Consuelo n’eût pas fait ce mensonge. Il est des êtres qu’on respecte trop pour les tromper, même en les sauvant.



Haydn qui crêpait gravement la perruque… (Page 219.)

Elle recommença donc, et déchira vingt commencements de lettre, sans pouvoir se décider à en continuer une seule. De quelque façon qu’elle s’y prît, au troisième mot, elle tombait toujours dans une assertion téméraire ou dans une dubitation qui pouvait avoir de funestes effets. Elle se mit au lit, accablée de lassitude, de chagrin et d’anxiétés, et elle y souffrit longtemps du froid et de l’insomnie, sans pouvoir s’arrêter à aucune résolution, à aucune conception nette de son avenir et de sa destinée. Elle finit par s’endormir, et resta assez tard au lit pour que le Porpora, qui était fort matinal, fût déjà sorti pour ses courses. Elle trouva Haydn occupé, comme la veille, à brosser les habits et à ranger les meubles de son nouveau maître.

« Allons donc, belle dormeuse, s’écria-t-il en voyant enfin paraître son amie, je me meurs d’ennui, de tristesse, et de peur surtout, quand je ne vous vois pas, comme un ange gardien, entre ce terrible professeur et moi. Il me semble qu’il va toujours pénétrer mes intentions, déjouer le complot, et m’enfermer dans son vieux clavecin, pour m’y faire périr d’une suffocation harmonique. Il me fait dresser les cheveux sur la tête, ton Porpora ; et je ne peux pas me persuader que ce ne soit pas un vieux diable italien, le Satan de ce pays-là étant reconnu beaucoup plus méchant et plus fin que le nôtre.

— Rassure-toi, ami, répondit Consuelo ; notre maître n’est que malheureux ; il n’est pas méchant. Commençons par mettre tous nos soins à lui donner un peu de bonheur, et nous le verrons s’adoucir et revenir à son vrai caractère. Dans mon enfance, je l’ai vu cordial et enjoué ; on le citait pour la finesse et la gaîté de ses reparties : c’est qu’alors il avait des succès, des amis et de l’espérance. Si tu l’avais connu à l’époque où l’on chantait son Polifeme au théâtre de San-Mose, lorsqu’il me faisait entrer avec lui sur le théâtre, et me mettait dans la coulisse d’où je pouvais voir le dos des comparses et la tête du géant ! Comme tout cela me semblait beau et terrible, de mon petit coin ! Accroupie derrière un rocher de carton, ou grimpée sur une échelle à quinquets, je respirais à peine ; et, malgré moi, je faisais,