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CONSUELO.

avec ma tête et mes petits bras, tous les gestes, tous les mouvements que je voyais faire aux acteurs. Et quand le maître était rappelé sur la scène et forcé, par les cris du parterre, à repasser sept fois devant le rideau, le long de la rampe, je me figurais que c’était un dieu : c’est qu’il était fier, il était beau d’orgueil et d’effusion de cœur, dans ces moments-là ! Hélas ! il n’est pas encore bien vieux, et le voilà si changé, si abattu ! Voyons, Beppo, mettons-nous à l’œuvre, pour qu’en rentrant il retrouve son pauvre logis un peu plus agréable qu’il ne l’a laissé. D’abord je vais faire l’inspection de ses nippes, afin de voir ce qui lui manque.



Et secoua la main de son maître Porpora… (Page 221.)

— Ce qui lui manque sera un peu long à compter, et ce qu’il a très-court à voir, répondit Joseph ; car je ne sache que ma garde-robe qui soit plus pauvre et en plus mauvais état.

— Eh bien, je m’occuperai aussi de remonter la tienne ; car je suis ton débiteur, Joseph ; tu m’as nourrie et vêtue tout le long du voyage. Songeons d’abord au Porpora. Ouvre-moi cette armoire. Quoi ! un seul habit ? celui qu’il avait hier soir chez l’ambassadeur ?

— Hélas ! oui ! un habit marron à boutons d’acier taillés, et pas très-frais, encore ! L’autre habit, qui est mûr et délabré à faire pitié, il l’a mis pour sortir ; et quant à sa robe de chambre, je ne sais si elle a jamais existé ; mais je la cherche en vain depuis une heure. »

Consuelo et Joseph s’étant mis à fureter partout, reconnurent que la robe de chambre du Porpora était une chimère de leur imagination, de même que son par-dessus et son manchon. Compte fait des chemises, il n’y en avait que trois en haillons ; les manchettes tombaient en ruines, et ainsi du reste.

« Joseph, dit Consuelo, voilà une belle bague qu’on m’a donnée hier soir en paiement de mes chansons ; je ne veux pas la vendre, cela attirerait l’attention sur moi, et indisposerait peut-être contre ma cupidité les gens qui m’en ont gratifiée. Mais je puis la mettre en gage, et me faire prêter dessus l’argent qui nous est nécessaire. Keller est honnête et intelligent : il saura bien évaluer ce bijou, et connaîtra certainement quelque usurier qui, en le prenant en dépôt, m’avancera une bonne somme. Va vite et reviens.

— Ce sera bientôt fait, répondit Joseph. Il y a une espèce de bijoutier israélite dans la maison de Keller, et