Page:Sand - Adriani.djvu/145

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vole, c’est bien assez pour moi. J’ai bien plus d’images que vous à mon service, puisque, dans une courte phrase, je peux résumer le sentiment infini de ma contemplation.

— À votre dire, s’écria le baron, les sons prouvent plus que les mots ?

— En politique, en rhétorique, en métaphysique, en tout ce qui n’est pas de son domaine, non certes ; mais en musique, oui.

— C’est qu’on n’a pas encore fait de poésie vraiment lyrique dans notre langue, mon cher. Est-ce que les anciens ne chantaient pas des poèmes épiques ? Est-ce que les gondoliers de Venise ne chantent pas l’Arioste et le Tasse ?

— Non ! pas ! Ils les psalmodient sur un rhythme à la manière des anciens, et c’est un peu comme cela que les faiseurs de romances et de ballades ont rhythmé les vers romantiques de nos jours. Tout le monde peut faire de cette musique-là, tout le monde en fait ; mais ce n’est pas de la musique, je vous le déclare. Paix à la cendre d’Hippolyte Monpou et consorts ! Pierre Dupont fait les choses plus ouvertement ; il arrange son chant pour ses paroles, auxquelles il donne, avec raison, la préférence. Je donnerai de tout mon cœur le pas, dans mon estime, à vos vers sur ma musique ; mais je ne peux pas faire ma musique pour vos vers. Ils sont beaux, si vous voulez, ils sont trop faits. Ils existent trop pour être chantés.