Page:Sand - Adriani.djvu/76

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puis que j’ai introduit ici ce piano. Je me figure qu’elle a besoin de quelques secousses morales, dût-elle en souffrir, et que ce qu’il y a de pire pour elle, c’est l’espèce d’indifférence où elle est tombée.

Je trouvai que la Muiron ne raisonnait pas mal pour le moment.

— Mais est-ce donc à cause de cela, lui demandai-je, que vous m’avez retenu ici à l’aide d’un mensonge ?

— Eh bien, oui, répondit-elle, c’est à cause de cela. J’ai vu que vous étiez artiste musicien : que ce soit par état ou par goût, qu’est-ce que cela fait ? Et puis vous êtes aimable, vous êtes charmant, et, si madame pouvait se plaire dans votre compagnie, ne fût-ce qu’une heure ou deux, cela lui rendrait peut-être le goût de vivre comme tout le monde. Est-ce donc un si grand sacrifice que je vous demande, de vous intéresser toute une matinée à la plus belle, à la plus malheureuse et à la meilleure femme qu’il y ait sur la terre ?

Je fus touché de la sincérité avec laquelle cette fille parlait, et je lui offris de chanter encore, dût madame de Monteluz revenir pour me chasser. La Muiron m’embrassa presque et me dit :

— Tenez ! si vous saviez quelque chose de beau que madame ne connût pas ? C’est bien difficile, mais si cela se rencontrait ! Tout ce qu’elle sait lui rappelle le temps passé. Une musique qui ne lui rappelerait rien et qui