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Page:Sand - Andre.djvu/9

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Châtre ! Les dames du lieu, ces belles et molles patriciennes qui fleurissent comme des camélias en serre dans l’air tiède des lagunes, elles avaient, en passant par la langue si bien pendue de la Loredana, les mêmes vanités, les mêmes grâces, les mêmes forces, les mêmes faiblesses que les fières et paresseuses bourgeoises de nos petites villes. Chez les hommes, c’était même bonhomie, même parcimonie, même finesse, même libertinage. Le monde des ouvriers, des artisans, de leurs filles et de leurs femmes, c’était encore comme chez nous, et je m’écriai du mot proverbial : Tutto il mondo è fatto come la nostra famiglia.

Reportée à mon pays, à ma province, à la petite ville où j’avais vécu, je me sentis en disposition d’en peindre les types et les mœurs, et on sait que quand une fantaisie vient à l’artiste, il faut qu’il la contente. Nulle autre ne peut l’en distraire. C’est donc au sein de la belle Venise, au bruit des eaux tranquilles que soulève la rame, au son des guitares errantes, et en face des palais féeriques qui partout projettent leur ombre sur les canaux les plus étroits et les moins fréquentés, que je me rappelai les rues sales et noires, les maisons déjetées, les pauvres toits moussus, et les aigres concerts de coqs, d’enfants et de chats