Page:Sand - Antonia.djvu/192

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génie ne devait jamais tourner à l’enthousiasme. On goûtait, on appréciait, on avait des mots enfermés dans, une certaine mesure. Enfin on s’arrangeait pour ne montrer d’émotion à propos de rien, et, dans ce perpétuel petit sourire de la grâce noble, on devenait si charmant, qu’on n’avait plus rien d’humain.

Madame d’Estrelle, pour la première fois, se rendit compte de toutes ces choses et s’en préoccupa vivement. Le petit Juliot, qu’on appelait ainsi pour le distinguer de maître Julien, dont il était le filleul, avait la physionomie intéressante. Il était drôle ; la tête fine, le nez en l’air, l’œil vif, la bouche maligne, il avait l’aplomb ingénu et narquois de l’écolier en vacances. Eût-il été déguisé en grand seigneur, on ne l’eût jamais confondu avec ces petits hommes trop jolis et trop polis, frottés tous du même vernis d’aristocratie. Juliot avait bien aussi son enduit de caste, mais avec cette nuance particulière que l’esprit bourgeois ne s’acharne pas à effacer, parce que là chacun doit exister par lui-même et se faire place à l’aide des moyens qui lui sont propres. L’enfant avait donc, l’esprit mordant avec une certaine curiosité candide qui sentait son Parisien frais émoulu, chercheur et badaud, crédule et pénétrant tout ensemble. Pour ne pas exposer le nom de madame d’Estrelle aux conséquences de son babil dans l’étude, on lui avait dit que c’était une cliente de campagne nouvellement arrivée à Paris et qui voyait la comédie pour la première fois ; et, comme Julie s’amusait à le questionner, il lui fai-