Page:Sand - Antonia.djvu/297

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sage pour surmonter le chagrin que j’ai pu avoir.

La fermeté de Julien n’était pas feinte, il y allait de bonne foi. Seulement, il souffrait trop pour avouer à demi sa souffrance. Le mieux était d’en supprimer absolument l’aveu.

Dans la soirée, comme il faisait très-chaud, Julien sortit pour aller prendre un bain dans la rivière. Ordinairement, il se joignait à quelques jeunes artistes employés à la manufacture de porcelaine, auxquels il donnait des conseils et des leçons. Ce jour-là, éprouvant le besoin d’être seul, il les évita et s’en fut dans un endroit désert, à la lisière d’une prairie ombragée. Le temps était lourd et sombre, Julien se jeta à l’eau très-machinalement, et tout d’un coup cette pensée lui vint à l’esprit pendant qu’il nageait :

— Voilà une douleur atroce dont je ne sens pas pouvoir jamais guérir. Si je cessais pendant quelques instants de fendre cette nappe d’eau, elle engloutirait ma douleur et garderait le secret de mon découragement.

En songeant ainsi, Julien cessa de nager et enfonça rapidement. Il pensa au désespoir de sa mère, et, quand il toucha le fond, il frappa du pied et revint sur l’eau. Il était bon nageur et pouvait jouer ainsi avec la mort sans aucun risque ; mais la tentation était forte, et la pensée du suicide a des vertiges terribles. Trois fois il s’abandonna avec plus d’entraînement, et trois fois il se reprit avec moins de résolution. Un quatrième accès, plus violent que les autres, devenait